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Alias Caracalla

Alias Caracalla

Titel: Alias Caracalla
Autoren: Daniel Cordier
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celle
dont j’use auprès de mes camarades, je lui dis  : « Mon
colonel, je me suis permis de vous déranger à cause
de la situation tragique de la France. » Il m’observe
d’un regard perçant, où je lis sympathie et intérêt.
« Avec quelques-uns de mes camarades, nous voudrions faire quelque chose pour la patrie. J’ai pensé
que vous pourriez peut-être nous aider. »

    Il s’enfonce dans son fauteuil et, les bras sur les
accoudoirs, joint ses deux mains : « Hélas, monsieur,
je crains de ne pas être à la hauteur de vos espérances. Vous avez entendu le maréchal Pétain. La France
a demandé l’armistice. La guerre est finie. » Il a lancé
cette phrase comme un ordre du jour, la voix enflée,
d’un ton sans réplique.

    Sa réponse est si étrangère à mon attente que je
me permets d’insister : « Bien sûr, j’ai entendu le discours du Maréchal, mais je croyais qu’en dépit de
ses ordres l’armée préparait quelque chose… par en
dessous. » À peine ai-je prononcé ces mots que le
colonel se dresse devant moi, immense et méprisant : « Apprenez, jeune homme, que l’armée française n’a pas de “dessous”. Votre devoir est d’obéir
au Maréchal. C’est ce que je vous conseille de faire,
comme tous les Français. »

    Il fait signe au planton puis se rassoit, sans me
tendre la main.

    Déconcerté par cette rebuffade imprévue et la violence de son adieu, je repense à mes fanfaronnadesde la veille. Que diront mes camarades ? Heureusement, la permanence est à l’autre bout de la ville.
J’ai le temps de me remettre.

    Quand j’arrive, Marmissolle et Roy, seuls, lisent
les journaux. Je leur raconte mot à mot l’entrevue.
Ils écoutent attentivement. Loin de se moquer de
moi, ils explosent : « C’est un lâche et un vieux con !
Que peut-on attendre de gens qui ont perdu la guerre
en un mois ?

    — Alors, qu’est-ce qu’on fait ? demande Roy pour
la énième fois. Le temps passe. On va finir prisonniers des Boches avant d’avoir bougé. »

    Bien que mon beau-père m’ait recommandé le
silence sur les confidences du préfet, je leur rapporte
la conversation.
     

    « D’accord, nous partons. Mais tu oublies la réunion de vendredi.

    — Vendredi, on ne pourra plus quitter Pau. Il faut
l’annuler ou la tenir demain. »

    Des camarades arrivent. Certains sont partisans
de partir ce soir même. D’autres proposent d’avancer la réunion à jeudi et de quitter Pau avant le
couvre-feu. Le rendez-vous est à 6 heures du soir.
Même si elle dure une heure, il nous en reste deux
avant l’interdiction du préfet. Je m’accroche à la
réunion, espérant une levée en masse.

    « Tu oublies que la convocation est imprimée :
elle annonce vendredi, dit Roy.

    — Eh bien, on changera le jour.

    — Comment ?

    — À la main.

    — Tu es fou ! Et puis, il y a la salle Pétron. Tu
sais bien qu’ils sont occupés jeudi soir.

    — J’irai chez Pétron pour négocier avec eux. On
trouvera bien une solution. »

    Domino arrive, accompagnée d’amies du tennis.
Elle parle avec animation à Marmissolle : son
regard est brillant, et l’émotion donne à son visage
d’enfant l’éclat de celui d’une femme. Elle m’embrasse
avec abandon : « C’est très bien. » Elle s’interrompt
et me dit brusquement : « Comme je voudrais être
un garçon pour partir avec vous. » Je suis bouleversé par sa voix, son regard, son baiser. Heureusement, mes camarades se pressent autour de nous.
Ma décision est irrévocable, nous n’avons pas de
temps à perdre pour réussir la réunion prévue.

    Que faire de ce bonheur qui passe ? J’ai envie
d’être seul avec Domino. Nous sortons tous les deux,
et je l’emmène au parc Beaumont tout proche.

    Je me tais. Après un moment, elle me prend la
main : « Je vous comprends. Moi aussi, je suis malheureuse. Mon père a pleuré hier en écoutant Pétain.
C’est la première fois que je le voyais en larmes.
C’était affreux. Son désespoir… » Elle me confie à
mi-voix, avec une douceur inconnue : « Je devine
votre souffrance. Je suis avec vous, de tout mon
cœur. »

    Oubliant les promeneurs, elle se serre contre moi.
Curieusement, ces paroles inattendues, au lieu de
m’aguerrir, accentuent ma détresse parce qu’elle est
désormais partagée par le seul être qui compte dans
ma vie. J’admire comment cette enfant — car c’est
une petite fille, avec ses richelieus, ses
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