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Adieu Cayenne

Adieu Cayenne

Titel: Adieu Cayenne
Autoren: Albert Londres
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Maintenant, avant tout, il s’agit de payer.
Nous sortons chacun nos cinq cents francs. Brinot, qui n’avait rien
préparé, est forcé de les retirer de son plan (porte-monnaie intime
en forme de cylindre et en fer-blanc). Chacun compte et recompte.
Il y a de menus billets, c’est long ! Quand ils ont recompté,
ils recomptent une troisième fois ! Vous pensez, il y a des
hommes comme Deverrer qui ont vendu la moitié de leur pain pendant
deux ans pour rassembler la somme ! C’est leur vie, ces cinq
cents francs. On y arrive tout de même petit à petit. Cinq cents
francs, puis mille, puis mille cinq cents, puis deux mille. Moi,
j’ai bazardé mes coffrets, tous les souvenirs que je voulais
rapporter aux bienfaiteurs. C’est dur aussi, de se séparer de cet
argent-là ! Enfin, je le donne. Menœil fut le dernier. Il ne
trouvait pas le compte, il s’égarait au milieu de ses billets de
cent sous. « Ça me fait mal à l’estomac, disait-il, de les
revoir. » Il les avait échangés, lui aussi, contre son pain.
Enfin, les trois mille francs sont réunis !
    Le Chinois les prend. Il s’approche de sa
lanterne. Et voilà qu’il commence à compter et à vérifier les
billets, et cela avec un tel soin que l’on aurait dit qu’il
cherchait sur chacun la signature de l’artiste auteur de la
vignette. Il n’en passa pas un. Cela dura une demi-heure. Après, le
Chinois les donna au nègre. Le nègre s’attacha la lanterne au cou
et se mit à compter et à vérifier. Il n’alla pas plus vite que son
compère ! Après, il les redonna au Chinois, qui se remit à les
recompter et à les revérifier. Enfin, ce fut fini ; le Chinois
les glissa dans sa ceinture.
    Il souffla sa lanterne, regagna son
embarcation et, silencieux, dans la nuit chaude, emportant l’argent
du pêcheur, il rama vers son bouge.
    – En route, dit Acoupa.
    Et il enleva la pirogue.
    Elle a sept mètres de long et un mètre de
large. Nous sommes sept dedans. Il fait noir. Nous longeons la
forêt vierge. Soudain, comme sur un ordre, les moustiques nous
attaquent furieusement.
    Deverrer, qui est jeune, geint sous la
souffrance. « Silence, ordonne Menœil. Ce n’est pas la peine
d’avoir échappé aux chasseurs d’hommes pour les attirer maintenant
à cause de deux ou trois moustiques ! »
    Le jeune se tait. Et alors commence le
supplice, qui durera jusqu’à l’aube. On se caresse sans arrêt la
figure, le cou, les pieds, les chevilles, de haut en bas, de bas en
haut, dans un continuel mouvement de va-et-vient. Et à pleines
mains on les écrase. Ils sont des millions contre vous, vous
entendez, oui, des millions ! J’en ai écrasés pendant neuf
heures de suite, contre ma peau, pour mon compte !
    La crique a cinquante kilomètres ; nous
n’en sortirons qu’au matin.
    Acoupa pagaie. Menœil, debout à l’avant, et
que les moustiques recouvrent comme d’une résille, manie un long
bambou.
    Jean-Marie le reprend, puis je reprends
Jean-Marie. Le bambou s’enfonce dans la vase et la manœuvre est
exténuante.
    Mais nous allons.
    Chacun bâtit une vie nouvelle.
    Deverrer parle de sa mère, qui sera si
contente.
    Brinot, qui est boucher, montrera aux
Brésiliens comment on travaille à la Villette !
    Venet, catholique fervent, qui n’a jamais
quitté son scapulaire, qui, le matin même, est allé trouver le curé
de Cayenne, pour se confesser et communier, nous met sous la
protection du Bon Dieu.
    Jean-Marie, qui est breton et, par conséquent,
assez religieux aussi, apercevant la Croix du Sud, dit que le Ciel
est pour nous. Il fera de beaux meubles pour les
Brésiliens !
    Menœil, avec son seul œil, n’y voit plus
clair, tellement il pleure de joie : « Ah ! je la
tiens, cette fois, la Belle ! » Il a cinquante-six ans.
C’est la quatrième fois qu’il part à sa recherche. Je ne sais qui
l’inspire. Mais il ne doute plus. Il chante, ce vieux forçat.
    – Et vous ?
    – Moi, j’étais comme les autres ;
j’entrevoyais le bonheur tout en écrasant mes moustiques.
    Acoupa pagayait comme un sauvage. La crique
s’élargissait.
    On entendait l’appel de la mer. Puis on la
vit. On hissa la voile. Cris de joie : nous avions échappé aux
chasseurs d’hommes.

Chapitre 6 ET LA PIROGUE SOMBRA
     
    – Dites donc, reprit Dieudonné, avez-vous
entendu parler du banc des Français ? C’est à
« Niquiri », en Guyane anglaise. Là, généralement, les
pirogues des forçats en route vers le Venezuela
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