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Une tombe en Toscane

Une tombe en Toscane

Titel: Une tombe en Toscane
Autoren: Maurice Denuzière
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exprès de Paris.
     
    Sous un drap noir à franges d'argent, une petite tribune prenait toute la dignité qui convient au piédestal des oraisons funèbres. Par-dessus les fleurs, elle regardait vers le cercueil voilé sur lequel un coussin garni des décorations de feu Louis Malterre ressemblait à une palette aux couleurs insolites au milieu de tout ce noir. L'ordonnateur retira son bicorne à cocarde et la foule s'ouvrit sur le trio que Camille Malterre, la veuve, formait avec son fils Jean-Louis et sa fille Agnès. Camille s'assit toute raide sur une chaise boiteuse, sa fille eut l'air de se serrer contre elle, mais Jean-Louis resta debout. La foule ne voyait que les Malterre : au milieu du crêpe noir le blond bouclé de la chevelure des femmes, et, carrée, la silhouette de l'homme, seul, à qui revenait le privilège de montrer le visage de la famille en deuil.
     
    La crispation de la pudeur et les larmes versées traçaient au-dessus du nez courbe de Jean-Louis ces deux petites rides verticales qui marquaient déjà le visage de son père, comme des parenthèses entre les yeux. Ceux qui lui serrèrent la main, plus tard, à la sortie du cimetière, pensèrent tous qu'il était le portrait vivant du mort. En le disant au jeune homme, ils auraient probablement mieux apaisé sa tristesse qu'en lui offrant de banales condoléances.
     
    Sous son voile, Camille Malterre ne pleurait pas. Elle considérait un scarabée qui venait à la rencontre de sa chaussure vernie et pensait aux étranges bêtes nécrophages qui ne tarderaient pas à s'attaquer au corps de son mari. Cette pensée lui donna un frisson que sa fille prit pour un sanglot. Elle sentit la main moite d'Agnès sur son poignet. La jeune fille, elle, pleurait. Camille se mit aussi à pleurer doucement, non pas comme une veuve ou comme une mère, mais comme pleure une bourgeoise sensible à la fin d'un mélodrame.
     
    L'ordonnateur s'était approché de Jean-Louis.
     
    - Puis-je donner la parole au président ?... dit-il, de cette voix que seuls possèdent les sommeliers stylés.
     
    Le jeune homme ayant eu un signe de tête approbateur, l'homme noir put emprunter la voix d'un annonceur mondain :
     
    - Monsieur le Président de la Chambre syndicale de la Métallurgie.
     
    Un petit vieillard sec, triturant quelques feuillets dactylographiés de ses mains gantées de fil gris, se dirigea vers la tribune. Il commença d'une voix mal assurée, fixant le cercueil :
     
    - Mon cher Louis...
     
    Mais dès la deuxième phrase, se prenant pour un Bossuet laïc qui sait que son oraison sera commentée, il retrouva le ton qu'on lui connaissait dans tous les congrès.
     
    - Quand Louis Malterre sortit de Centrale en 1922, il avait de l'ambition, mais une ambition justifiée par ses mérites et sa valeur. Il voulait faire du petit atelier de charpente métallique que possédait son père dans notre ville de Saint-Chamond une grande usine. En dix années de travail, il devait y réussir brillamment et tous ceux qui se sont intéressés, au cours de leurs voyages à l'étranger, aux techniques industrielles ont reconnu sur les machines, sur les paquebots, aux arches des ponts lancés sur les fleuves, dans les constructions gigantesques ou minutieuses, le nom de Malterre. Il laisse à son fils une renommée mondiale et une entreprise qui donne du travail à près de deux mille ouvriers. Organisateur-né, industriel audacieux et tenace, il nous laisse à tous l'exemple du travail et de la foi. Mais Louis Malterre ne s'est pas satisfait d'une seule réussite professionnelle, il a voulu aussi réaliser pleinement sa fonction d'homme. Capitaine au cours de la dernière guerre, il sut – malgré une grave blessure - animer la résistance désespérée d'un petit village d'Alsace où il vit périr presque tous ses soldats.
     
    » Courageusement, au lendemain de l'armistice, malgré les difficultés, il relança la fabrication et développa encore ses usines, tout en se préoccupant de former son successeur, ce fils malheureux, qui peut être assuré de trouver auprès des amis de son père la même estime et la même amitié. Grand industriel, père de famille irréprochable, soldat valeureux, il devait être nommé conseiller du commerce extérieur après avoir été désigné à plusieurs reprises par ses pairs pour représenter la France dans des rencontres internationales. Souvent, on le crut distant et froid, parce qu'il était réfléchi et discret, ne
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