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Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Titel: Un Dimanche à La Piscine à Kigali
Autoren: Gil Courtemanche
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des ronds de jambe onusiens. On lui a demandé à New York d’interpréter son mandat de la façon la plus restrictive possible. On lui a donné peu de moyens militaires, au cas où il serait tenté de faire preuve d’audace. De telle sorte que le major général a déjà oublié ou presque que les forces des Nations unies doivent non seulement veiller au respect des accords de paix, mais aussi maintenir la sécurité dans la capitale.
    Une grenade explose. Juste assez loin de la piscine pour que ce soit ailleurs. Seul le major général a sursauté. Il n’est pas encore habitué à la paix qui tue quotidiennement. Il a renversé un peu de soupe sur son uniforme. Le major général regarde, inquiet, autour de lui. Nul n’a remarqué sa nervosité. Rassuré, quoique suant abondamment, il plonge de nouveau sa cuillère dans la soupe de haricots noirs.
    Douze corbeaux français plongent en même temps dans la piscine : trois femmes venaient de s’y glisser. Les corbeaux se transforment parfois en crocodiles.
    Valcourt ferme son carnet. Depuis quelque temps, la pièce de théâtre vaguement surréaliste qui se joue chaque jour à la piscine ne l’intéresse plus. L’intrigue est cousue de fil blanc, le comportement des personnages, prévisible comme dans un téléroman. Il se demande s’il n’a pas fait son temps ici. Il avait voulu vivre ailleurs. C’est fait. Ce soir, il a l’impression de nager en rond dans un aquarium. Il commande une autre bière à Gentille qui n’a toujours pas relevé la tête même si le Rwandais de Paris n’est plus là.

2
    Quand, un 10 avril, quarante-cinq centimètres de neige ensevelirent Montréal qui avait déjà commencé à fêter le printemps, Bernard Valcourt ne connaissait du Rwanda que sa situation géographique et le fait que deux ethnies, les Hutus, largement majoritaires, et les Tutsis, environ quinze pour cent de la population, s’y livraient une guerre civile larvée. Il buvait dans le bar d’un hôtel après avoir assisté à un colloque sur le développement et la démocratie en Afrique. La neige cesserait peut-être après quelques bières et il pourrait rentrer à pied. Et puis, rien ne l’attirait chez lui. Depuis que sa fille était partie comme toutes les filles le font quand elles deviennent amoureuses, depuis que Pif, son chat, ainsi nommé parce qu’il était le frère de Paf, était mort, comme sa sœur, de simple et bête vieillesse, son appartement ne lui parlait que de sa solitude. Quelques femmes gentilles y dégrafaient leur soutien-gorge, une ou l’autre y avait dormi, pris le petit-déjeuner, mais aucune n’avait passé le test du matin. Il avait connu, depuis la mort de sa femme, cinq ans plus tôt, une seule passion, un amour fou, dévorant, magnifique, tellement qu’il n’avait su comment le vivre. La passion se nourrit d’abandon. Il n’avait pas encore atteint cet état de liberté totale qui détruit la peur de l’inconnu et permet de voler. Quant à son travail de réalisateur à Radio-Canada, il le percevait de plus en plus comme une tâche monotone, un fardeau fastidieux.
    Un grand barbu élégant qui avait ânonné quelques platitudes sur les médias en Afrique se présenta.
    — Claude Saint-Laurent, directeur du développement de la démocratie à l’Agence canadienne de développement international. Je peux m’asseoir ?
    Et il commanda deux bières. Le fonctionnaire lui expliqua que le Canada, pays sans importance dans le concert des nations, exerçait néanmoins dans certaines régions du monde une influence qui pouvait en déterminer l’avenir et surtout l’accès à la démocratie. C’était le cas du Rwanda. Le gouvernement canadien avait accepté d’y financer avec quelques autres partenaires l’établissement d’une télévision dont la première mission serait éducative, en particulier dans les domaines de la santé communautaire et du sida.
    — On commence par les besoins hygiéniques, par des émissions sur la prévention, sur les régimes alimentaires, puis l’information circule, et l’information, c’est le début de la démocratie et de la tolérance.
    «   Bullshit   » , pensa Valcourt.
    — Seriez-vous intéressé à devenir le codirecteur de cette télé ?
    Valcourt dit oui sans réfléchir même une seconde.
    Il donna ses meubles à la Société Saint-Vincent-de-Paul et ses tableaux à sa fille, vendit son appartement et sa bibliothèque dont il n’avait conservé que deux livres,
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