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Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Titel: Un Dimanche à La Piscine à Kigali
Autoren: Gil Courtemanche
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dans leurs livres on pouvait découvrir l’histoire de toute l’humanité. Il apprit bien sûr que la Terre était ronde. Il ne fut pas surpris. Le Soleil et la Lune étant ronds, pourquoi la Terre serait-elle plate ou carrée ? Non seulement Célestin était intelligent, mais il tirait vite profit de ce qu’il apprenait. En les fréquentant autant qu’en lisant leurs œuvres, il avait rapidement compris que les Blancs se croyaient supérieurs. Cela ne le dérangeait pas. De tout temps, des individus, des clans, des tribus avaient promené leur supériorité proclamée sur les collines et dans les vallées. Certains usaient de la force, d’autres du commerce, pour s’affirmer, mais toujours, chacun à sa façon et chacun sur sa colline, le Hutu et le Tutsi étaient demeurés polis mais distants, empruntant sans le dire un peu de la sagesse des autres et menant leurs affaires en hommes respectueux.
    Célestin était hutu, et seul l’empressement de son père à le faire baptiser lui avait ouvert les portes de la grande école, cette conversion et aussi deux vaches que Kawa, éleveur prospère, avait promis de donner chaque année à la mission pour la remercier de sa générosité. Célestin avait demandé à son père si ce n’était pas sa propre générosité qui s’était manifestée la première. Non, les deux générosités étaient nées simultanément, avait répondu lentement le père après avoir réfléchi plusieurs minutes. C’est ainsi que Célestin apprenait quotidiennement la dissimulation, sorte de demi-mensonge pratiqué depuis toujours par les hommes des collines. Celui qui habite la colline se méfie de l’étranger. Il vit isolé et ne connaît ni l’ami ni l’ennemi. Alors, il se donne le temps de comprendre et, en attendant, il fait semblant. Souvent, il prend toute une vie et ne dit ce qu’il pense que sur son lit de mort. C’est ainsi que parfois, dans ce pays, après des années de fréquentations et de salamalecs, de cadeaux et de conversations joyeuses, un Blanc apprend qu’il n’a jamais été aimé. Les Blancs disent que le Ruanda-Urundi est le royaume des menteurs et des hypocrites. Ils ne comprennent rien à l’insécurité permanente de l’homme des collines. Les Blancs ont des fusils, les Noirs ont des pensées secrètes.
    Kawa souhaitait que Célestin connaisse une autre vie que celle de la colline. Il voulait qu’il devienne un « intellectuel ». C’est ainsi qu’on nomme encore aujourd’hui ceux qui savent lire et empilent du papier au lieu de traire une vache ou une chèvre. Il irait vivre à Astrida {2} , la capitale, et deviendrait riche en faisant du commerce avec les coloniaux. Projet légitime qui honorait ce père aimant mais dont il ignorait encore toute la complexité. C’est Célestin, grand lecteur devant l’Éternel, qui lui fit entrevoir les difficultés que comportait sa marche vers la prospérité et la considération sociale.
    Célestin avait rapporté à la maison un gros livre écrit par un médecin belge spécialiste des cultures indigènes. Dans son pays, on le considérait comme un grand africaniste. Le roi, la reine, les ministres, les hauts et les bas fonctionnaires puisaient dans cet ouvrage toutes leurs connaissances au sujet du continent mystérieux. Il n’y avait pas de plus grand savant sur le Ruanda que ce médecin. Il connaissait l’histoire de tous les royaumes africains et les caractéristiques de chacun des peuples. Il en faisait une description scientifique, appliquant les grandes théories de la morphologie et de l’anthropologie, comme on commençait depuis peu à le faire en Europe, particulièrement en Allemagne. C’est son professeur, le père Athanase, qui lui avait expliqué tout cela en lui remettant le précieux ouvrage. Il était temps, avait-il dit, s’il voulait devenir un intellectuel, qu’il découvre quelles étaient les races pures pour qu’il puisse modeler sur celles-ci son attitude et son comportement. Cela faciliterait d’autant son ascension sociale.
    Cette lecture bouleversa toute sa vie, celle de sa famille, de ses enfants et de ses petits-enfants, dont la plus belle et la plus intelligente serait baptisée du nom de Gentille.
    Il apprit que les Hutus habitaient la région des Grands Lacs depuis des temps immémoriaux et qu’ils descendaient probablement des Bantous, de sauvages guerriers venus du lac Tchad et qui avaient fondé de grands royaumes, comme ceux du Monomotapa et du Kongo, de
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