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Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Titel: Un Dimanche à La Piscine à Kigali
Autoren: Gil Courtemanche
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son cas, à moins que ce ne fussent ses liens de parenté ou encore la vache qui avait poussé un lancinant meuglement de fatigue en arrivant, fit en sorte que Kawa n’attendit que quelques minutes.
    Sans dire un mot, mais les yeux pleins de questions, il prit place sur la natte décorée de motifs noirs en forme de pointes de flèches. Nyamaravago, assise devant lui, n’avait même pas levé la tête quand il était entré. Elle chantonnait presque imperceptiblement, les yeux fermés, la respiration lente. Une servante lui présenta un grand bol d’eau. Il se lava les mains et le visage. On lui offrit de la bière de banane qu’il but lentement, puis il se rinça la bouche avec de l’eau. Il ferma les yeux et se mit en état d’écouter.
    Sa cousine parla de la pluie qui avait été très forte et des buses qui se faisaient de plus en plus nombreuses, ce qui signifiait que les gens jetaient beaucoup de nourriture, puis de son mari qui l’avait visitée trois nuits auparavant. Elle demanda à Kawa des nouvelles de son estomac qui avait été malade et qu’elle avait traité quelques mois auparavant. Oui, les crampes avaient disparu dès son retour sur la colline. On alluma une lampe à huile offerte par un riche malade. Ils parlaient depuis une bonne heure. Cinq minutes de mots, le reste de silences méditatifs. Enfin, celle qui communiquait avec les esprits l’invita à dire la raison de sa visite, d’autant plus importante, semblait-il, que la vache était belle et grasse. Il ne venait pas pour lui, mais pour ses enfants et les enfants de ses enfants. Il craignait que de grands malheurs ne s’abattent sur eux et que toute sa descendance ne soit maudite. Et s’il était aussi désespéré, c’est qu’un grand livre, écrit par un devin blanc, confirmait ses angoisses.
    Il conclut : « Il semble que nous ne soyons pas ce que nous sommes ni ce que nous paraissons être, mais que l’avenir de mes enfants ne sera supportable que s’ils deviennent ce qu’ils ne sont pas. » Même avec les dieux et les ancêtres, la prudence et la discrétion sont de mise. Un homme qui dit tout est un homme nu. Un homme nu est faible.
    Il cracha dans une petite calebasse. Sa cousine imprégna une languette de bois de la salive de Kawa et ajouta un peu de graisse de chèvre. Elle chauffa la languette en la tenant au-dessus de la lampe. Elle examina les formes que la chaleur faisait apparaître puis ferma les yeux. La servante apporta un large bol empli d’eau bouillante. Nyamaravago y plongea deux petites mottes de beurre. Une fois le beurre fondu, elle ferma de nouveau les yeux et dit : « Tes enfants et les enfants de tes enfants, tant qu’ils vivront au pays des collines, devront changer de peau comme les serpents et de couleur comme les caméléons. Ils devront toujours voler dans le sens du vent et nager avec le fleuve. Ils seront ce qu’ils ne sont pas, sinon ils souffriront d’être ce qu’ils sont. » Le silence s’installa. Kawa tremblait. On entendait les fourmis marcher sur la natte. La cousine leva lentement la main droite. Kawa, sans sa vache, reprit le chemin de sa colline.
    C’est ici que l’histoire de Gentille, qui n’est toujours pas née, débute une deuxième fois.
    De retour à la maison, Kawa ne dit mot de son périple, encore moins des soucis qui le rongeaient et de la douloureuse décision qu’il avait prise pour sauver sa descendance et la descendance de celle-ci.
    Au pays des collines, l’origine du père détermine l’ethnie des enfants. Père hutu, enfants hutus. Père tutsi, enfants tutsis, peu importe l’origine de la mère. Ses filles n’auraient qu’à épouser des Tutsis pour que leurs enfants fassent partie de la race choisie par les dieux et adulée par les Blancs. Cela devrait pouvoir se réaliser facilement. Kawa était riche et connaissait maintes familles tutsies peu nanties qui accepteraient avec plaisir d’améliorer leur ordinaire de quelques vaches en échange d’un fils. Quant aux mâles de la famille, le destin les condamnait à demeurer des Hutus dans des corps de Tutsis. Et à jamais leur origine et celle de leurs enfants seraient inscrites sur leurs pièces d’identité. Quel cauchemar. Quel destin tragique. Écoles interdites, mépris des Blancs, carrières et ambitions bloquées. Il ne permettrait pas que ses fils et les fils de ses fils fussent à jamais des êtres officiellement inférieurs, des nègres de nègres.
    Le père Athanase confirma ses
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