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Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Titel: Un Dimanche à La Piscine à Kigali
Autoren: Gil Courtemanche
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Nyamaravago dit : « Tu as fait trop de chemin et le peu de forces qui te reste t’abandonne. Tu crois avoir découvert la clé de tous tes rêves. Ouvre la porte et meurs heureux de tes espérances. »
    Le mariage coûta la maison. Ernestine et Célestin s’installèrent à Astrida, et Kawa, sous le ficus qui baignait d’ombre sa maison. Le père d’Ernestine lui avait permis de vivre là. Chaque jour, on lui apportait un peu de haricots. Il mourut quelques semaines après le mariage, en disant à une vague cousine qui passait par là : « Les enfants de mes enfants seront blancs, mais vont-ils me reconnaître ? »
     
    C’est ce que Célestin avait raconté à Gentille, qui le racontait par bribes à Valcourt. Il était assis dans le seul fauteuil de la petite maison en terre rouge qu’elle partageait avec une amie dans le quartier musulman de Nyamirambo, à quelques kilomètres de l’hôtel. Une seule pièce, le sol recouvert en partie de deux nattes. Un fauteuil bancal dans lequel il s’était réfugié pour ne pas être trop près de Gentille. Une table et deux chaises. Deux valises en carton qui contenaient toutes les possessions des jeunes filles. Sur le mur, trois chromos, la Vierge, le pape et le président. Que faisait-il là, encore tremblant et transpirant de chacun de ses pores, milliards de petites fontaines intarissables ?
    Il venait de passer un autre dimanche inutile à la piscine. Quand tous les corbeaux puis les buses se furent perchés et que le soleil eut disparu brusquement derrière la barrière d’eucalyptus, quand il n’était plus resté que lui, comme chaque dimanche, désespéré à la pensée d’entreprendre une autre semaine inutile, Gentille était venue près de sa table et avait soupiré plus que dit : « Monsieur, je t’en prie, monsieur, il faut dire au gouvernement que je ne suis pas une Tutsie. Je ne veux pas perdre mon emploi. Je suis une vraie Hutue. J’ai les papiers pour le prouver. J’ai peur de passer pour une inkotanyi {5} . »
    Valcourt levait son nez libéral sur ces théories racistes qui déduisent d’un nez, d’un front ou de la finesse du corps l’origine d’une personne. Mais lui-même, inconsciemment prisonnier de ces stéréotypes, se surprit à ne pas vraiment la croire. Elle pleurait doucement, résolument, fuyant ses yeux comme le font souvent les Rwandais. Elle avança timidement vers lui, à petits pas, répétant : « Monsieur, monsieur, aide-moi. » Et soudain, son odeur l’atteignit. Il chavira, bousculé, envahi de partout, doigts tremblants, jambes flageolantes, corps mouillé, comme en proie à une attaque de malaria, mais avec une érection si soudaine et si douloureuse qu’il laissa échapper un sourd gémissement. Ce qui tenait ensemble toutes les parties de son corps pour faire de lui un être humain s’était dissous. Seul demeurait un amas incontrôlable d’enzymes, de glandes, de molécules.
    Non, il n’était pas malade, s’entendit-il dire. Oui, il voulait bien un verre d’eau. Non, il ne fallait pas aller chercher quelqu’un. Il fallait le laisser seul. Elle promit de revenir après avoir rangé le bar et de lui montrer sa carte d’identité. Trop de vie qui surgissait dans des veines et des muscles rouillés, trop de sang dans un cœur qui avait oublié comment traverser les extases subites, trop d’air dans des poumons habitués à respirer parcimonieusement.
    Effectivement, Gentille était hutue, du moins selon son carnet d’identité. Mais il ne la croyait toujours pas. Elle voulait lui parler, mais pas à la piscine, pas dans sa chambre non plus. Le seul fait de monter chez lui la désignerait comme putain et ne ferait qu’augmenter le harcèlement constant dont sa beauté était seule responsable ; car il n’y avait pas femme plus silencieuse, plus discrète et plus réservée que Gentille. Il se faisait tard. Valcourt savait que Gentille devrait dépenser la moitié de son salaire de la journée pour prendre un taxi. Sinon, il aurait fallu marcher une bonne heure dans une ville que le couvre-feu transformait chaque soir en terrain de chasse pour les soldats et leurs acolytes miliciens, généralement ivres, qui distribuaient la séropositivité comme les curés, les indulgences.
    Il buvait une Primus aussi chaude que son front fiévreux. Que pouvait-il pour Gentille ? Rien. Tout sophistiqué qu’il fût, homme de gauche et humaniste éclairé, sachant tout sur les mariages mixtes et la
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