Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Titel: Un Dimanche à La Piscine à Kigali
Autoren: Gil Courtemanche
Vom Netzwerk:
merde. »
    L’accouplement provisoire ou permanent constitue une transaction saine. Raphaël ne cessait de le lui expliquer : « Oublie ton langage amoureux de Blanc. Le cul du Blanc est une bouée de sauvetage. Petits cadeaux, une robe de Paris ou de Lévis (Raphaël avait suivi un stage au Mouvement Desjardins), un bijou hors taxe, un peu d’argent pour quitter le quartier musulman et monter sur la colline, dans une maison avec une haie et un gardien. Puis, si Dieu le veut, la libération, le Paradis, la cabane au Canada ou en Belgique ou en France ou à Tachkent, pourvu qu’il n’y ait plus de Hutus et de Tutsis, seulement des Blancs qui tolèrent plus ou moins les Noirs. L’intolérance ne tue pas. Paie-moi une bière, je suis fauché. »
    — Gentille, je ne veux pas être le Blanc qui fait des cadeaux, expliqua Valcourt. Si tu veux partir, je peux bien t’aider à obtenir un visa, mais tu n’as pas besoin de coucher avec moi. Même si cela peut te paraître ridicule, je voudrais seulement que tu m’aimes un peu.
    Il sortit sans se retourner, surpris par son propre aveu. L’amour, c’était le seul sentiment qu’il n’espérait plus et dont il se passait sans trop en souffrir. Et voilà qu’il en demandait.

4
    Au retour, il dut s’arrêter à trois barrages improvisés établis par de jeunes miliciens du parti gouvernemental. Bière dans une main, machette dans l’autre, l’œil révulsé, la démarche incertaine. Le parti avait aussi distribué un peu de marijuana pour alimenter la ferveur milicienne. On lui avait parlé de ces jeunes désœuvrés que le MRND embrigadait et entraînait, mais il les voyait pour la première fois. Officiellement, il s’agissait d’un mouvement de jeunesse. Comme des scouts, lui avait dit un haut fonctionnaire. Depuis quelque temps, ils apparaissaient impromptu dans les quartiers de Kigali, en particulier à Gikondo. Ils ne l’inquiétèrent pas. « Les Français sont nos amis. » Merci, président Mitterrand, de soutenir l’amitié franco-rwandaise.
    Sur son matelas rouge et vert, Gentille pleurait. Il n’avait rien compris.
    Penser à Gentille. Dessiner Gentille. Parler de Gentille. Avec n’importe qui. Mais surtout, entretenir la subtile douleur qui le pinçait au bas-ventre. Accroître le sentiment d’absence et de perte. Rêver. Rêver. Ou encore, pour ne pas mourir d’illusion, apprendre que Gentille couchait avec tous les Blancs qui voulaient bien payer. Et se dire : j’aurais dû le savoir. Pourtant, elle vivait si pauvrement. Sa timidité paraissait si réelle. Mais, ici, la timidité est un comportement acquis. Comment savoir si elle disait vrai ?
    À cette heure-ci, Olivier, le maître d’hôtel de la salle à manger, devait être au bar en train de jeter un œil triste et désabusé sur ses clients distingués que la solitude et la Primus ou la Mutzig transformaient en boucs vulgaires et agressifs. Valcourt pourrait se confier à lui, d’autant plus qu’il était le patron de Gentille. Olivier était doux et rieur. Il n’affichait pas l’obséquiosité désagréable du laquais qu’on retrouve si souvent parmi le personnel des hôtels luxueux d’Afrique. Il respectait ses employés plus que ses clients, mais cela aucun client n’aurait pu le deviner, encore moins la direction belge de l’hôtel. Seul Bertrand, le chef venu de Liège, perdu au Rwanda pour cause d’amour avec une Rwandaise, puis avec sa colline, enfin avec le pays tout entier, le savait. Olivier terminait toujours la soirée en compagnie de Bertrand. Les deux avaient un seul sujet de conversation, le Rwanda, qu’ils aimaient passionnément mais sans l’aveuglement de la passion. C’étaient, comme le dit l’expression que Valcourt adorait, des « hommes de bon conseil ».
    Avec eux, il pourrait parler de Gentille.
    Le bar de l’hôtel était sordide, comme un cocktail lounge dans un film de série C qui se déroule dans une banlieue de Dayton, en Ohio, ou de Shawinigan, au Québec. Des draperies sombres masquaient les fenêtres. Des fauteuils en cuirette noire, des tables rondes recouvertes de formica et deux banquettes en U orientées vers un poste de télévision qui blatérait CNN. (Oui, je sais, « blatérer » ne tolère pas de complément d’objet direct, mais c’est exactement ce que fait un poste de télé syntonisé à CNN, il blatère.) Six tabourets inconfortables et trop hauts, enfin, où trônaient les habitués solitaires, ivrognes
Vom Netzwerk:

Weitere Kostenlose Bücher