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Terra incognita

Terra incognita

Titel: Terra incognita
Autoren: Mireille Calmel
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l’âme, puis, caressant son ventre proéminent, s’exclama brusquement :
    — Foutredieu, ma bécaroïlle, j’ai faim ! Dix ans que ça m’est pas arrivé.
    Le tour de taille du cuisinier démentant de lui-même cette affirmation, Algonde pouffa.
    Il la fixa alors avec une gravité inattendue. Une gravité qui la marqua pour longtemps et dans laquelle perça tout l’amour qu’il lui portait.
    — Tu peux rire, ma fille, mais c’est vrai. Je mangeais pour manger. C’est comme tes œufs au lait. J’avais plus le goût pour les préparer.
    Algonde sentit de nouveau son cœur se serrer. Enguerrand le comprit et se leva avec entrain pour faire face au cuisinier.
    — Mon bon Janisse, j’en ai l’eau à la bouche ! Le temps que l’on dresse la table, ne voudriez-vous m’accompagner en cuisine pour me donner votre recette ?
    L’œil de Janisse s’illumina. Il se dressa en prenant appui sur les bras du fauteuil, tel un pourfendeur de justice.
    — Ma foi, il ne sera pas dit que moi, maître Janisse, je laisse à d’autres le soin de vous régaler. Allons, messire Enguerrand, allons ! Et toi, ma bécaroïlle, ne t’éloigne pas trop, je serai vitement là. Faut pas bien longtemps de préparation avant d’enfourner des œufs au lait tu sais, et foutredieu, je ne veux plus te quitter !

5
     
    — Moi non plus je ne voudrais plus te quitter, ma fille, mais je suppose qu’il n’est pas question que tu rentres avec nous à Sassenage ? demanda Gersende en lui tapotant la main, sitôt que les deux hommes se furent effacés.
    Algonde secoua la tête, attristée.
    — Nul ne peut renaître de ses cendres, mère. Et puis, il y a Constantin. Je ne peux m’éloigner de lui. Il m’est bien assez pénible de le laisser s’abîmer encore dans la grotte quand je suis, moi, dans cette demeure.
    Présine se mit à rire.
    — Ne force pas le trait. Tu sais comme moi qu’il s’y plaît et que je suis à ses côtés la plupart du temps.
     
    Algonde n’avait rien à objecter. Constantin lui-même avait dédaigné la chambre qu’Enguerrand lui avait offerte, prétextant que le matelas était trop mou, l’air trop sec, la couverture mal adaptée. Il avait tenu deux jours dans ces draps, se cachant des domestiques pour ne pas que son visage mangé de longs poils sombres les effraie. Ils auraient vu le diable dans sa haute taille, ses manières et son parler fleuri, incongrus dans la bouche d’un enfant de dix ans. Mieux valait, pour tous, qu’il ne se fasse pas remarquer. Au troisième matin, il s’était excusé auprès du chevalier. Ce sommeil qui le fuyait, c’était chez lui qu’il le retrouverait. Enguerrand n’avait pas insisté. Il se souvenait de son voyage dans le Nouveau Monde, de l’insistance de Colomb à vouloir que les indigènes s’accommodent de leurs manières. Non seulement ils n’y étaient pas arrivés, mais ils s’étaient sentis profondément blessés qu’on veuille les leur imposer.
    Fort de cette expérience, le chevalier avait eu une longue conversation avec Constantin. Il en était ressorti que le garçonnet resterait libre d’aller et venir à son gré. De se nourrir des plats cuisinés ou du fruit de sa chasse et de sa pêche. Libre aussi de se cacher ou de se montrer.
    Un nouvel équilibre s’était installé. Chaque jour, ainsi qu’elle le faisait avant, Algonde rejoignait Constantin dans la grotte de Mélusine, sous le manoir. Elle s’asseyait à ses côtés sur sa natte de paille, face à Présine, et s’instruisait avec lui.
    Outre la connaissance des simples, des animaux, du visible et de l’invisible, Présine leur enseignait le latin, le grec, le sumérien, et nombres de langues usitées encore ou non, qu’elles soient des Hautes Terres ou de celle-ci. Elle professait l’écriture et les mathématiques, l’astronomie et la géographie et même, Algonde s’en était souvent ébaubie, le maniement des armes. De l’épée noble et puissante au coustel, du lance-pierre au fouet. Sans parler de la lutte à main nue.
    L’essentiel, en somme, pour former un roi autant qu’un guerrier et dont Algonde, elle aussi, bénéficiait par ricochet.
    De fait, une seule chose lui manquait de sa prison d’hier. Nager avec le garçonnet, se réjouir de son rire tandis qu’il chevauchait sa queue monstrueuse de sirène. Quelques jours plus tôt, ayant recouvré une vue plus nette, elle avait essayé, à son appel, de le rejoindre dans le lac. La froidure de l’onde
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