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Terra incognita

Terra incognita

Titel: Terra incognita
Autoren: Mireille Calmel
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recroquevillait, en proie à toutes les inquiétudes que le silence du prévôt laissait planer. Quelle idée avait donc eue son père de le prévenir de la mort de Djem, de l’annulation de son mariage avec Aymar et de cette faveur qu’il lui avait consentie lorsqu’elle avait émis le souhait de se retirer à Sassenage… Lorsque Luirieux fit volte-face, ses intentions lui éclatèrent aux yeux. Elle frissonna de la tête aux pieds.
    — Jamais mon père ne vous agréera pour gendre, dit-elle.
    Luirieux ravala la phrase qu’il avait préparée, la changea en compliment.
    — Je constate avec plaisir que votre vivacité d’esprit est égale à votre beauté. Je ne vous laisse pas le choix, Hélène. Vous m’épousez ou je fais murer portes et fenêtres de ce donjon. Abandonné jusqu’à hier, il retombera dans l’oubli sans peine. Et vous avec.
    Elle ricana, rattrapée par le fardeau de sa peine.
    — Ce tombeau dont vous me menacez hante mes nuits comme un refuge depuis la mort du prince. La vie que vous m’offrez n’est pas de taille à rivaliser avec sa paix.
    Il la jaugea un instant. Il savait qu’elle disait vrai.
    — Je ne doute pas de votre envie d’en finir, ma mie. Mais condamnerez-vous l’enfant que vous portez ?
    — Comment… ? s’empourpra-t-elle.
    Il s’inclina avec déférence.
    — Un doute, très chère. Que vous venez de lever. Réfléchissez à ma proposition en toute quiétude. Elle n’offre pour vous que des avantages. Ce mariage ne sera pas consommé, une méchante blessure m’interdisant votre couche ; en revanche, je reconnaîtrai votre fils comme le mien et vous l’élèverez à Sassenage puisque tel était votre souhait.
    — Qu’y gagnerez-vous ?
    — Terres et renommée.
    Une voix venait d’éclater dans la mémoire d’Hélène. Celle de la fée Mélusine qu’elle avait un jour rencontrée avec Algonde dans la retenue d’eau des Cuves du Furon.
    « Tu auras trois époux. Le premier pour te sauver du déshonneur, le second pour t’en punir, le troisième pour t’en délivrer », lui avait dit la fée.
    Luirieux avait raison. Elle ne voulait plus mourir. Son destin n’était pas de mourir. Et moins encore de finir ses jours avec ce fourbe.
    — Faites monter Mathieu, exigea-t-elle en se redressant, les joues réchauffées de cette certitude.
    — Et pourquoi donc ? Votre ancienne amitié n’est plus, d’après ce que j’en sais, et son désir de vous pourfendre est plus grand que celui de vous absoudre.
    — Je veux lui parler, répéta-t-elle.
    Le regard de Luirieux s’étrécit derrière ses paupières tombantes. L’insistance d’Hélène le braqua sur ses positions.
    — À moins que vous ne soyez mon épousée, vous n’en avez aucune raison. Il est à mes ordres. Pas aux vôtres. Sur ce, permettez que je vous abandonne à vos réflexions.
    Il s’inclina. Dans quelques secondes, il aurait quitté la pièce. Hélène prit une profonde inspiration. Elle n’avait pas le choix. C’était à son tour de se sacrifier.
    — Faites-moi porter de l’encre et du papier, dit-elle, la voix affermie. Je saurai convaincre mon père de vous laisser m’épouser.

4
     
    D’aussi loin qu’Algonde se souvienne, jamais le rire de maître Janisse n’avait tonitrué si puissamment. Il rebondissait sous les solives de l’antichambre, ricochait contre les rideaux tirés, faisait trembler la flamme des chandelles, empourprait les joues du cuisinier et illuminait ses yeux aux paupières tombantes, tandis qu’à plat, dans de grands gestes, ses deux mains épaisses claquaient ses genoux à intervalles réguliers.
    Son bonheur était à son image, volubile et généreux, tandis qu’assise à ses côtés, toute de retenue, Gersende se taisait, le visage de nouveau lumineux.
    Le regard abîmé d’Algonde allait de l’un à l’autre avec le même sentiment au cœur. Elle avait retrouvé les siens. Balayé sa terreur de l’instant précédent. Il avait suffi d’une phrase, une seule phrase, soufflée à son oreille, tandis que sa mère l’étreignait.
    — Malgré les apparences, j’ai toujours senti ton cœur battre en moi.
    Algonde avait éclaté en sanglots. Janisse était venu les encercler de ses gros bras et, pendant quelques minutes, sous le regard ému de Présine et d’Enguerrand de Sassenage, plus rien d’autre n’avait compté pour eux que cet échange-là.
    C’est l’entrée d’un valet, porteur de rafraîchissements, qui y
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