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Tarik ou la conquête d'Allah

Tarik ou la conquête d'Allah

Titel: Tarik ou la conquête d'Allah
Autoren: Patrick Girard
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fait étrange. Le
marchand avait la réputation d’être un homme doux, pacifique et honnête. Si sa
balance se trompait parfois, c’était toujours en faveur des pauvres dont il
voulait soulager discrètement les souffrances. Il fallait donc un motif
exceptionnel pour qu’il se querelle avec un militaire, au risque d’être jeté en
prison. D’après Aurelius, l’évêque de Tingis, Paulus, qui passait par là,
s’était enquis des motifs de la dispute. Maximus lui avait expliqué que le
soldat avait voulu le payer avec des pièces nouvelles qui avaient éveillé sa
méfiance. Son client prétendait qu’elles avaient été frappées sur ordre de
Tarik Ibn Zyad et qu’elles avaient désormais cours légal. Le prélat avait
examiné l’une des pièces : pour la première fois, celle-ci comportait sur
les deux faces une inscription en arabe. Dissimulant son étonnement, il avait
promptement ordonné à son coreligionnaire de l’accepter, l’assurant
discrètement qu’il lui ferait verser l’équivalent en bon argent byzantin.
    De retour chez lui, Paulus avait
fait traduire l’inscription par l’un de ses diacres, un Grec d’Alexandrie. Elle
signifiait : « Pour la guerre sainte, au nom d’Allah le
Miséricordieux. » L’homme d’église y avait vu un mauvais présage. Jusque-là,
Tarik s’était contenté de laisser circuler l’ancienne monnaie impériale qui lui
était bien utile pour ses échanges avec Septem. Or le voilà qui changeait
d’avis et, qui plus est, n’hésitait pas à faire allusion au djihad. Inquiet,
l’évêque avait convoqué Aurelius, qu’il savait être au service de Julien. À sa
grande déception, son interlocuteur avait fait mine de ne pas accorder trop
d’importance à l’incident.
    C’était là une ruse. L’espion de
l’exarque se méfiait du prêtre. Ce n’était pas la première fois que celui-ci
prenait une initiative inconsidérée au risque de mettre en danger l’existence
de ses fidèles. Le prélat avait, il est vrai, des excuses à son zèle. À Tingis,
la communauté chrétienne avait fondu de moitié en quelques années. Plutôt que
de payer les taxes spéciales exigées d’eux, de nombreux croyants avaient
préféré se convertir à l’islam et ces abjurations se multipliaient. Au début,
cette vague d’apostasie avait touché uniquement les Berbères, à la foi trop
fraîche pour être véritablement solide. Maintenant, elle atteignait les
vieilles familles romaines demeurées jusque-là farouchement attachées à l’usage
de leur langue, celle de Cicéron, de Virgile et d’Augustin, le vénérable auteur
de La Cité de Dieu. Des parents éplorés avaient informé l’évêque que
leurs fils étaient devenus musulmans après avoir récité la formule
rituelle : « Achadou Allah ilaha illa illa, Achadou Allah Mohammadoun
rassoul Allah (Il n’est d’autre Dieu que Dieu et Mohammed est Son
Prophète) ». Ils paradaient désormais dans les rues, affichant ouvertement
leur mépris pour leurs anciens coreligionnaires, les exhortant à suivre leur
exemple. S’ils venaient à croiser Paulus, qui les avait baptisés, ils
s’abstenaient délibérément de répondre à son salut ou l’accablaient de grossiers
sarcasmes. Pour le vieil homme, la situation empirait chaque jour et, alarmé
par cette affaire des nouvelles pièces, il avait estimé être de son devoir
d’alerter Julien, qui était le représentant de l’empereur.
    Quand Aurelius raconta l’affaire à
Julien, celui-ci s’abstint de laisser paraître sa joie. Il avait vu juste, son
piège avait fonctionné. Depuis des mois, chaque fois qu’il se rendait à Tingis,
le dignitaire byzantin évoquait longuement devant Tarik les fabuleuses
richesses de la Nigritie, le lointain pays des Noirs, d’où Rome faisait jadis
venir or, animaux sauvages et captifs. Son interlocuteur le laissait parler
sans que rien ne trahisse sa pensée. Avec cette pièce, Julien détenait
désormais la preuve que le farouche Berbère s’était enfin décidé à lancer une
expédition vers le sud. C’est pour cela qu’il parlait de guerre sainte !
Avant même de rôtir dans les flammes de l’enfer, cet idiot périrait de soif
dans les sables du désert. Pendant ce temps, l’exarque, avec l’aide de Witiza,
reprendrait Tingis et Carthage, ce qui lui vaudrait d’être rappelé à
Constantinople pour y recevoir la juste récompense de ses exploits.
    Encore lui fallait-il s’assurer de
l’appui du
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