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Sur la scène comme au ciel

Sur la scène comme au ciel

Titel: Sur la scène comme au ciel
Autoren: Jean Rouaud
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dont le magasin avait été le principal centre
d’intérêt semblait l’avoir oublié, comme si cette parenthèse de cinquante ans
s’était refermée, évaporé le souvenir de sa vie de labeur, au lieu qu’allongée
sur son lit elle prenait un visible plaisir à évoquer son enfance et sa
jeunesse, dont nous savions peu de chose, au vrai, sur lesquelles elle s’était
montrée peu diserte, au point que jusqu’alors nous n’arrivions pas à
trancher : en avait-elle gardé de bons souvenirs ? tellement elle
semblait imperméable à toute forme de nostalgie.
    Heureusement, les photographies de cette époque se
révélaient plus parlantes : notre maman, petite, déguisée en Chariot avec
fausse moustache, canne et chapeau melon, lors vraisemblablement d’une fête de
fin d’année scolaire, et visiblement très à l’aise dans son rôle de
composition, une autre où, beaucoup plus jeune, quatre ans peut-être, au cours
de ce qui doit être un pique-nique en famille au bord d’un étang, nombreux dans
sa région natale, un chapeau cloche enfoncé jusqu’aux yeux, un pouce dans le
bec, elle se blottit contre sa mère souriante, ce qui contredit l’attitude
supposée peu maternelle de celle-ci. Ce qui impose des errata à répétitions
pour celui qui l’a présentée comme une femme énergique mais peu tendre. Ce dont
prit ombrage son fils au point d’envisager de boycotter les livres de son
neveu. De son point de vue, c’est-à-dire du point de vue d’un fils qui lit des
choses inexactes sur sa mère, on ne peut que lui donner raison. Alors, pour
lui, ce repentir : grand-mère fut une bonne mère, et, par la même
occasion, le coiffeur-maraîcher un bon coiffeur maraîcher, ceci pour sa fille
qui a été peinée en lisant ce que j’avais écrit sur son père. Qui fut surtout
un bon maraîcher. Car sur ce portrait de mes cinq ou six ans, réalisé par un
photographe ambulant qui avait installé son camion-studio sur le parvis de l’église
et que notre père, toujours accueillant, avait invité à dîner, on voit
nettement les traces désordonnées de la tondeuse au-dessus de mes oreilles.
Mais un père est un père, et je suis sincèrement désolé.
     
     
     
    Comme beaucoup, et d’autant plus qu’on vieillit, j’avais
l’habitude de commencer ma journée par la consultation méthodique de la page
des avis de décès, journal grand ouvert sur la table à côté de mon petit
déjeuner. Ce fut un coup au cœur, comme si ma vieille camarade sortait de
l’ombre, où l’avait entraînée ses rêves de gloire, pour me mettre en
garde : Nantes. – Elle avait 66 ans. On l’a retrouvée
dernièrement chez elle. Morte. Décédée de mort naturelle. Seule. Complètement
seule. Ginette Valton, artiste dramatique, s’est éteinte à son domicile nantais.
    « C’était une remarquable artiste », nous a
confié l’ancien patron de l’ORTF à Nantes qui fut son employeur lorsqu’elle
collabora à l’antenne nantaise de Radio-Bretagne. Elle y a interprété de
nombreuses pièces radiophoniques. Ginette Valton avait été l’élève de Charles
Dullin. Au cinéma elle a aussi interprété quelques rôles, notamment dans La
Femme du pendu au côté de Charles Vanel.
    Morte, décédée de mort naturelle, s’est éteinte, cela
faisait beaucoup pour une seule personne. Soit la nouvelle paraissait
inconcevable, et il convenait par cette succession de termes voisins pour dire
la même chose de bien se la rentrer dans la tête, soit le journaliste n’avait
pas grand-chose d’autre à en dire. De plus, l’annonce de la disparition de
Ginette Valton occupait un grand encadré à la rubrique nécrologie, comme s’il
s’agissait de rattraper cette mort à la sauvette, comme si le journal, se
sentant un peu coupable de l’avoir ignorée, se proposait de lui offrir une
sortie théâtrale, alors même que peut-être il ne lui avait jamais accordé
autant de place dans toute sa carrière, lui réservant ainsi un pauvre triomphe
posthume, qui me toucha d’autant plus que Ginette, nous avions été ensemble à
l’institution Françoise d’Amboise à Nantes, à Chavagnes, comme nous disions.
D’un coup tout m’est revenu, comment elle brillait dans les saynètes des
spectacles de fin d’année, son désir de devenir comédienne, ses espoirs, ses
premiers succès, et puis je l’avais perdue de vue. J’avoue que La Femme du
pendu, en admettant que j’eusse repéré son nom sur l’affiche, le titre
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