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Staline

Staline

Titel: Staline
Autoren: Marie,Jean-Jacques
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s’imposer
par la force, trop renfermé pour dominer par le verbe, il n’a pas été, comme
des milliers d’enfants, chef de bande, il n’a pas régné sur les gamins de la
rue Sobornaia, il n’a pas connu les plaisirs enivrants de cette autorité
éphémère mais absolue.
    En septembre 1888, Sosso, âgé de 10 ans, entre au
petit séminaire de Gori, sorte d’école primaire orthodoxe. La pauvreté de Kéké,
qui accepte de faire des ménages dans l’établissement, et l’appui du prêtre
Tcharviani qui l’emploie, permettent à Sosso, considéré comme « l’un des
élèves les plus pauvres et les plus doués », d’obtenir une bourse complète
de trois roubles par mois. Sa mère s’est mise en quatre : le jour de la
rentrée, le 1 er  septembre 1888, il arrive à l’école vêtu d’un
manteau bleu neuf, la tête couverte d’une casquette de feutre, un foulard rouge
autour du cou. Il n’a rien à envier aux élèves des familles plus aisées. Ainsi,
dès le premier jour, l’école lui apparaît comme le lieu de la revanche et de l’ascension
sociales.
    La Russie traverse alors une ère de profonde réaction.
Alexandre III renforce le caractère policier de l’organisation religieuse
de la Russie : tout sujet de l’Empire est enregistré comme membre d’une
confession autorisée, l’état civil et le mariage sont de la compétence des
clergés, l’athéisme est officiellement proscrit. Il est interdit aux orthodoxes
de changer de religion, aux autres chrétiens de se convertir à une religion
non-chrétienne, au juif ou au musulman converti à l’orthodoxie de revenir à sa
première religion. La conversion d’un chrétien non orthodoxe et d’un juif à une
autre confession que l’orthodoxie est soumise à l’autorisation du ministère de
l’Intérieur ; celle d’un non-chrétien (sauf un juif) à celle… du ministère
des Affaires étrangères. Le mariage entre chrétiens et juifs ou musulmans n’est
autorisé que pour les luthériens. Le clergé orthodoxe est financé par l’État,
dont il est la police spirituelle, et son budget augmente sans cesse ; les
autres clergés sont salariés par les fidèles. L’instruction religieuse est
obligatoire à l’école. Le gouvernement multiplie les écoles paroissiales pour
favoriser la conversion à l’orthodoxie et la russification.
    Sosso travaille d’arrache-pied, mais, au cours de l’été 1889,
Vissarion réapparaît et emmène son fils avec lui à l’usine Adelkhanov. Il
déclare à Kéké : « Tu veux que mon fils soit prêtre. Tu te fais des
illusions. Je suis savetier et mon fils sera savetier comme moi [35] . » Kéké
proteste ; il la roue de coups et embarque Sosso. Kéké s’obstine, fait
intervenir les prêtres de l’école qui alertent leurs confrères de Tiflis.
Vissarion cède face à cette coalition ecclésiastique : « Un peu plus
tard, dit Kéké, j’ai pourtant réussi à remettre l’enfant à l’école [36] . » Quand ?
Elle ne le précise pas, mais il a sûrement fallu du temps pour convaincre l’obstiné
cordonnier qui a ainsi fait perdre une année d’études à son fils. Vissarion,
vaincu par son épouse, atteint dans son autorité, abandonne sa famille et s’en
va sur les routes. Sosso n’évoquera jamais ce bref et unique moment de son
existence où il a travaillé de ses mains, pas même lorsque la propagande
officielle chantera le passé prolétarien et les mains calleuses des dirigeants.
Le souvenir lui en était par trop désagréable.
    Cet épisode d’Adelkhanov a nourri l’une des légendes qui
pullulent autour de lui. Un fantaisiste biographe le mêle à la horde des « kintos »,
ces voyous et déclassés au couteau facile qui lui auraient appris à manier le
poignard caucasien et à se battre dans les bouges obscurs et les ruelles de la
cité. Mais rien ne confirme cette science du poignard, dont Sosso n’aurait pas
manqué de se vanter auprès de ses camarades à Gori. Pourtant, en 1923, un
communiste géorgien, confronté à ses méthodes brutales, le qualifiera de « kinto ».
Trotsky a intitulé un chapitre de sa biographie du Secrétaire général « Kinto
au pouvoir ». Mais 1923 n’est pas 1890. Encore une fois, projeter le
Secrétaire général sur l’adolescent pour montrer les prémices de l’homme d’État,
faire du jeune homme un voyou parce que l’adulte sera cruel, féroce, rusé,
cynique, c’est utiliser une méthode à la rétroactivité
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