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Souvenirs d'un homme de lettres

Souvenirs d'un homme de lettres

Titel: Souvenirs d'un homme de lettres
Autoren: Alphonse Daudet
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chic que jamais. Il vous avait
un petit chapeau saison de bains à rubans bleus, la moustache
empesée, les cheveux à la russe, une jaquette trop courte qui
laissait tout à l'air, et pour s'achever, menait en laisse au bout
d'une ganse de soie un petit havanais de catin, gros comme un rat,
perdu dans son poil, l'air ennuyé et fatigué comme son maître.
Ainsi fait, il se planta languissamment devant notre table, regarda
les communeux défiler, dit je ne sais quelle niaiserie, puis avec
un dandinement, un abandon inimitables, il nous déclara
positivement que ces gens-là commençaient à lui échauffer les
oreilles, et qu'il allait de ce pas « offrir son épée à
l'amiral !… » C'était dit, c'était lancé. Lasouche ni
Priston n'ont jamais rien trouvé de plus comique… Là-dessus il fit
un demi-tour et s'éloigna tout alangui, avec son petit chien
maussade.
    Je ne sais s'il offrit, en effet, son épée à
l'amiral, mais, en tous cas, M. Saisset n'en fit pas grand
usage, car huit jours après, le drapeau de la Commune flottait sur
toutes les mairies, les ponts-levis étaient hissés, la bataille
engagée partout, et d'heure en heure on voyait les trottoirs
s'élargir, les rues devenir désertes… Chacun se sauvait comme il
pouvait, dans des voitures de maraîchers, dans les fourgons des
ambassades. Il y en avait qui se déguisaient en mariniers, en
chauffeurs, en hommes d'équipe. Les plus romanesques franchissaient
le rempart la nuit avec des échelles de corde. Les plus hardis se
mettaient à trente pour prendre une porte d'assaut ; d'autres,
plus pratiques, s'en tiraient tout bonnement avec une pièce de cent
sous. Beaucoup suivaient les corbillards et s'en allaient dans la
banlieue, errant à travers prés avec des parapluies et des chapeaux
de soie, noirs de la tête aux pieds comme des huissiers du
campagne. Une fois dehors, tous ces Parisiens se regardaient en
riant, respiraient, gambadaient, faisaient la nique à Paris ;
mais la nostalgie de l'asphalte les prenait bien vite, et cette
émigration, qui commençait en école buissonnière, devenait lourde
et triste comme de l'exil.
    Tout préoccupé de ces idées d'évasion, je
suivais un matin la rue de Rivoli sous une pluie battante, quand je
fus arrêté par une figure de connaissance. À cette heure-là, il n'y
avait guère dans la rue que des balayeuses qui rangeaient la boue
par petits tas luisants le long des trottoirs, et des files de
tombereaux que des boueux remplissaient au fur et à mesure…
Horreur ! C’est sous la blouse crottée d'un de ces hommes que
je reconnus mon cocodès, et bien déguisé !… Un feutre tout
déformé, un foulard en corde autour du cou, le large pantalon que
les ouvriers de Paris appellent (pardon) une
salopette
 : tout cela mouillé, passé, fripé, noyé
sous une couche de vase que le malheureux ne trouvait pas encore
assez épaisse, car je le surpris piétinant au milieu des flaques et
s'en envoyant jusque dans les cheveux. C'est même cet étrange
manège qui me l'avait fait remarquer.
    « Bonjour, vicomte, » lui dis-je tout bas
en passant. Le vicomte pâlit sous ses éclaboussures, regarda très
effrayé autour de lui ; puis, voyant tout le monde occupé, il
reprit un peu d'assurance et me raconta qu'il n'avait pas voulu
mettre son épée (toujours son épée !) au service de la
Commune, et que le frère de son maître d'hôtel, entrepreneur des
boues de Montreuil, lui avait heureusement procuré ce moyen de
sortir de Paris… Il ne put pas m'en dire plus long. Les voitures
étaient pleines, le convoi s'ébranlait. Mon homme n'eut que le
temps de courir à son attelage, prit la file, fit claquer son
fouet, et
dia
 !
Hue
 ! Le voilà parti…
L'aventure m'intéressait. Pour en voir la fin, je suivis de loin
les tombereaux jusqu'à la porte de Vincennes.
    Chaque homme marchait à côté de ses chevaux,
le fouet en main, menant l'attelage par une longe de cuir. Pour lui
rendre la besogne plus facile, on avait mis le vicomte le
dernier ; et c'était pitié de voir le pauvre diable s'efforcer
de faire comme les autres, imiter leur voix, leur allure, cette
allure tassée, voûtée, somnolente, qui se berce au roulement des
roues, se règle sur le pas des bêtes très chargées. Quelquefois on
s'arrêtait pour laisser passer des bataillons qui descendaient du
rempart. Alors il vous prenait un air affairé, jurait, fouettait,
se faisait aussi charretier que possible, puis de loin en loin le
cocodès
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