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Souvenir d'un officier de la grande armée

Souvenir d'un officier de la grande armée

Titel: Souvenir d'un officier de la grande armée
Autoren: Jean-Baptiste Auguste Barrès
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MON GRAND PÈRE
     
    Trois cahiers cartonnés, qui viennent de chez « Wiener, papetier, rue des Dominicains, 53, à Nancy », et leurs nombreux feuillets couverts d’une écriture paisible et claire, déjà bien palie par le temps : ce sont les recueils où mon grand-père Barrès, officier de la Grande Armée, ayant pris sa retraite à Charmes-sur-Moselle, transcrivit soigneusement les douzaines de petits carnets, souillés et déchirés, qu’il avait, durant vingt ans, promenés dans son havresac sur toutes les routes de l’Europe. «  Itinéraire  », voilà le titre exact qu’il donnait à ses étapes ; «  Itinéraire et souvenirs d’un soldat devenu officier supérieur (Barrès, Jean-Baptiste, Auguste), né à Blesle (Haute-Loire), le 25 juillet 1784, ou tableau succinct des journées de marche et de séjour dans les villes et villages de garnison et de passage, dans les camps et les cantonnements, tant en France qu’en Allemagne, en Pologne, en Prusse, en Italie, en Espagne et en Portugal, depuis mon entrée au service le 27 juin 1804, jusqu’au 6 juin 1835, époque de mon admission à la solde de retraite.  »
    Je les ai toujours vus, ces cahiers olivâtres, couleur de l’uniforme des chasseurs de la garde, et couleur aussi des lauriers d’Apollon que j’admirai, il y a huit ans, au vallon de Daphné, près d’Antioche de Syrie. Quand j’étais enfant, mon père me les a montrés, et, grand garçon, j’ai obtenu de les lire. S’il faut tout dire, je me penchais dessus avec plus de bonne volonté que de plaisir. Je sentais que j’avais là, dans mes mains, quelque chose qui intéressait religieusement mon père, et qu’à sa mort, je recevrais comme son legs le plus précieux, quelque chose entre lui, ma sœur, moi, et nul autre. Mais alors je n’allais pas plus loin : je ne sentais pas ma profonde parenté avec mon grand-père. Il faut du temps pour que nous discernions le fond de notre être. À cette heure, la reconnaissance est complète ; je ne me distingue pas de ceux qui me précédèrent dans ma famille, et certainement leurs meilleurs moments me sont plus proches qu’un grand nombre des jours et des années que j’ai vécus moi-même et qui ne m’inspirent que l’indifférence la plus dégoûtée.
    Aujourd’hui, dimanche matin, qui est le premier matin de mon séjour annuel à Charmes, je viens de faire au long de la Moselle le tour de promenade qu’y faisaient mon père et mon grand-père. La jeunesse du paysage était éblouissante, et son fond de silence, tragique. Près de la rivière, quelques cris d’enfants effrayaient les poissons ; les oiseaux chantaient, sans auditoire ; les cloches des villages sonnaient à toute volée, et semaient à tout hasard leurs appels séculaires. J’ai achevé ma matinée en allant au cimetière causer avec mes parents.
    Les inscriptions de leurs tombes me rappellent que mon grand-père est mort à soixante-deux ans et tous les miens en moyenne à cet âge ; elles m’avertissent qu’il est temps que je règle mes affaires. « Que nous serons bien là ! » disait avec bon sens ce charmant fils de Jules Soury, quand il allait à Montparnasse visiter la tombe de sa mère. Mais ce profond repos ne sourit pleinement qu’à ceux qui ont rempli toute leur tâche et exécuté leur programme. Or, je commence à me sentir un peu pressé par le temps.
    Je désirerais avant de mourir donner une idée de toutes les images qui m’ont le plus occupé. À quoi correspond cet instinct, qui est la chose du monde la plus répandue ? C’est, je crois, l’effet d’une sorte de piété, qui nous pousse à attester notre gratitude envers ce que nous avons reconnu de plus beau, au long de notre existence. On veut se définir, payer ses dettes, chanter son action de grâce. Explication bien incertaine, mais il s’agit du plus vague désir de vénération et d’une espèce d’hymne religieux, murmuré au seuil du tombeau. J’ai toujours projeté d’établir pour moi-même, sous ce titre «  Ce que je dois  », un tableau sommaire des obligations qu’au cours de ma vie j’ai contractées envers les êtres et les circonstances. Si je suis un artiste, un poète, je n’ai fait qu’exécuter la musique qui reposait dans le cœur de mes parents et dans l’horizon où j’ai, dès avant ma naissance, respiré. Tout ce que je connais de mon père et de ma mère m’assure dans cette conviction. Qu’est-ce que mes livres ? J’ai
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