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Souvenir d'un officier de la grande armée

Souvenir d'un officier de la grande armée

Titel: Souvenir d'un officier de la grande armée
Autoren: Jean-Baptiste Auguste Barrès
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autres bataillons » De telles minutes marquent de leur sceau toute une race. Mais cet enfant de vingt ans, ce soldat de la Garde impériale prend le contact de ce Multiplicateur de l’enthousiasme sans se laisser entamer par aucun désordre. Il nous raconte des scènes qui sont le lieu de naissance du romantisme et dépose leur souvenir, sans un mot théâtral, dans le sanctuaire de son cœur. Tous sont émus jusqu’au fond de l’âme, mais dans leur premier étonnement, ils ne brisent pas leur réserve native, et la moisson lyrique ne naîtra que plus tard. C’est au long du dix-neuvième siècle, que ces instants inouïs viendront comme des revenants agiter les fils des héros, et les empêcheront de dormir. Quel mystique aliment, quelles riches épargnes bien dosées, quelle préparation de chaleur et d’éclat ! De quel sacrement nos pères participaient !
    Ainsi naquit le romantisme (que j’ai essayé, pour ma faible part, de juger et de mettre au point, sans jamais cesser de respecter ses ardeurs originaires), ou du moins voilà ses premières préparations. Fait remarquable, mon grand-père et ses frères de gloire, tandis qu’ils introduisent dans le monde les éléments essentiels de cette fièvre, n’en présentent aucun symptôme. Stendhal a dit le grand mot : Napoléon faisait travailler toute cette jeunesse… L’action l’absorbait au point de supprimer toute nostalgie. Dans les périls et les effroyables fatigues de la guerre, le soldat de l’épopée peut quelquefois se replier sur lui-même, et éprouver un étonnement douloureux, si quelque injure est faite à des héros ; mais, à l’ordinaire, ces nobles gens vivaient coude à coude, dans un même songe, dans la haute satisfaction d’être des vainqueurs, couronnés de lauriers. Ils se détournaient de la réalité quotidienne, parfois éclairés d’une lumière si triste, pour s’enivrer du sentiment de l’honneur. Ils avaient leur haute conscience d’eux-mêmes, le témoignage retentissant de leur gloire dans les Bulletins de l’Empereur, et l’admiration de tous quand ils rentraient à Paris et dans leurs familles. La mélancolie et l’isolement, ces conditions indispensables du romantisme, n’apparaissent qu’après Waterloo et sous la Restauration, quand, devenus « les brigands de la Loire » et les demi-soldes, ils subissent avec stupeur des humiliations qu’ils savaient n’avoir pas méritées. Le sentiment de ne pas recevoir leur dû, un désaccord cruel avec la société, troublent profondément, après 1815, les soldats de la Grande Armée, et les choses prennent alors pour eux une vibration tragique, toute nouvelle. Ils connaissent la solitude morale. De grands souvenirs, un cœur humilié et isolé : cette fois, le romantisme est doté de ses deux raisons principales. Mais pour que ses fleurs apparussent, il fallait encore que le temps fît son œuvre et que le recul créât des mirages.
    Ces nobles soldats de la Grande Armée, ces grands paysans, si je les vois bien, étaient des esprits à enthousiasme circonscrit. Pas un mot sur l’au-delà, dans les souvenirs de mon grand-père. Aucune préoccupation religieuse. La Garde impériale avait-elle des aumôniers ? Je n’en sais rien après l’avoir lu. Il semble que le baron Larrey, le célèbre chirurgien, ait été chargé de suffire à toutes les fins de vie de ces héros. Ces initiateurs de grands rêves sont prodigieusement affermis dans le réel. Le désir d’avancement de mon grand-père est très sage. L’avancement se donne à l’ancienneté, aux blessures, aux occasions de se distinguer que le hasard de la guerre peut offrir et que les protections favorisent. C’est plus tard que les dynamismes déchaînés se sont aimantés sur cette époque où tous les mérites, s’est-on figuré, recevaient du Maître une récompense immense et immédiate. Ce lucide Stendhal lui-même, dans sa vie de fonctionnaire de l’Empire, ne nous laisse voir que des désirs de carrière courts et grossiers : il voudrait quatre mille livres de rentes et toutes les femmes. Ce n’est pas le programme d’une grande vie. Il est tout entier dans ses petites sensualités commodes, dans ses joies de garnisons, dans les curiosités et les ennuis de ses changements de résidence. Nous sommes loin du temps où son Julien Sorel, privé d’un cadre social et projeté dans l’infini du désir, fera du Mémorial de Sainte-Hélène un livre d’excitation, un
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