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Retour à l'Ouest

Retour à l'Ouest

Titel: Retour à l'Ouest
Autoren: Victor Serge
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mieux, d’interpénétrations, se sont ainsi
instituées et qui prêtent d’autant plus à la méditation que le cœur de l’Asie
centrale est aujourd’hui terre soviétique.
    L’homme vit dans le temps et l’espace qui le dominent mais
qu’il apprend à maîtriser par la technique. Mais ni le temps ni l’espace ne
sont les mêmes pour l’homme là-bas et ici. Première observation : les
distances entre les centres, villes et parfois villages, sont telles qu’un
voyage d’un jour ou de vingt-quatre heures est considéré comme très court ;
quand il y a des déserts à traverser une distance moindre peut offrir de plus
grandes difficultés. À vingt-quatre heures de chemin de fer ou de route, des
villes sont considérées comme voisines. Elles constellent sur la carte de
vastes étendues de steppes ou de sables. Contraste saisissant avec le monde
occidental où les foyers de civilisation, cités industrielles, ports, cités
universitaires sont, de règle, à moins d’une heure de voyage l’un de l’autre. Les
heures du charretier kirghiz cheminant par les steppes de l’Oural ont une
signification tout autre que celles du chauffeur conduisant entre Anvers et
Bruxelles : à ces deux mesures immensément différentes du temps
correspondent deux natures psychologiques, deux degrés de civilisation.
    Le vide des heures déprécie la vie comme le vide de l’étendue
déprécie la terre ; l’un et l’autre expriment une production indigente, demeurée
aux stades primitifs. Si l’on songe, en outre, que les plaines infinies n’offrent
à l’homme ni refuge naturel ni simples moyens de défense, on découvre un des
secrets de l’histoire de ces pays, toujours ouverts à l’invasion, où la
résistance du plus faible au plus fort semble condamnée par avance. On comprend
que le despotisme y fut de tout temps la loi : on aperçoit la source du
fatalisme et de l’infinie patience des peuples.
    Peu à peu, en approchant de Moscou, puis entre Moscou et la
Vistule, les villes deviennent de plus en plus fréquentes sur le parcours de l’express.
Depuis longtemps le désert s’est changé en steppe, la steppe défrichée est
devenue la plaine fertile. On voit de ses yeux la Russie faire la transition
entre la vieille Asie aux espaces incléments et l’Europe occidentale, de civilisation
ancienne et dense, hautement industrialisée depuis cent ans. La vraie frontière
de cet Occident passe un peu à l’est de Varsovie. Elle apparaît en toutes
choses, en tout visage, dans la qualité des vêtements, dans les toits de tuile
qui succèdent aux toits de chaume, dans la propreté méticuleuse des bourgs ;
on la devine dans les inflexions plus douces et plus nuancées des voix. On
saisit d’emblée la nécessité d’une industrialisation en quelque sorte héroïque
pour amoindrir en URSS l’écart entre l’Orient et l’Occident ; mais on est
en même temps frappé de l’ampleur de la tâche commencée et de l’ampleur, autrement
vaste, de celle qui reste à accomplir, surtout du point de vue de la
transformation de l’homme et de sa condition. Lénine dut y penser souvent qui
répéta avec tant d’insistance que « l’honneur difficile de commencer la
transformation socialiste de la société échoit au peuple le plus arriéré, le
moins préparé… » – et que si, ailleurs, cette transformation serait sans
doute beaucoup plus difficile à commencer, elle serait d’autant plus facile à
continuer…
    France, Belgique, cœur de l’Occident. Revenant de si loin
comment n’être pas frappé de la maturité de ces pays pour le socialisme ? Une
sorte de socialisme diffus y pénètre l’atmosphère même, qu’il s’agisse des
rapports entre les hommes, fondés sur des notions de droit, très nettes, du
système si ramifié, si riche, de la répartition des produits, du perfectionnement
des services publics, des bases matérielles, en un mot de la vie humaine. L’observateur
sortant de la révolution russe – c’est-à-dire d’une transformation sociale poursuivie
dans les conditions les plus défavorables au sein d’une Europe très proche, par
ses antécédents historiques et sa condition géographique, de l’Asie –, cet observateur,
même tenant compte de la puissance arrogante du capitalisme et des dangers de
réaction qu’elle couve, se sent disposé à l’optimisme.
    Une très grande partie de l’œuvre qu’on a dû faire là-bas
après la révolution est faite, ici, dans
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