Quelque chose en nous de Michel Berger

Fitzgerald, etc. »
    La plupart des compositeurs ne sont pas nécessairement virtuoses, d’Irving Berlin à John Lennon et Bob Dylan. Leur talent n’est pas là. Berger refusera d’en faire un complexe : « J’ai une bien meilleure opinion de mon jeu de piano depuis que j’ai travaillé avec Elton John et qu’il m’a dit que j’étais bien. Tout cela m’a donné confiance en moi. Du coup, tous les défauts que je pouvais avoir au piano sont apparus comme des caractéristiques de ma personnalité. Ma différence à moi, en quelque sorte. » Serge Pérathoner, pianiste également, qui sera l’un de ses principaux musiciens au cours des dernières années de sa carrière, lui reconnaît une « main gauche bizarre, vachement importante pour le feeling », tout à fait singulière.

    En 1954, Michel n’a pas encore sept ans. Se produit un événement fondateur, sur lequel on n’a pas fini de gloser. Le professeur Hamburger est alors devenu l’un des plus grands pontes français : médecin-chef de l’hôpital Necker, auteur du concept de réanimation médicale qui révolutionne les soins et sauverades millions de vies, inventeur de la néphrologie, il réussit les premières greffes de rein, réalise le premier rein artificiel français, publie cinq nouveaux livres chez Flammarion et dirige le groupe de recherche en néphrologie de l’Association Claude-Bernard. Dans cet immédiat après-guerre, on se met à penser que la révolution biologique pourrait devenir le progrès humain et que la science pourra peut-être repousser la mort. Jean Hamburger, obsédé par ce qu’il considère sa mission, commence à se prendre pour Dieu, selon le témoignage de certains de ceux qui le fréquentaient à l’époque (question immortalité, en sus de l’Académie, une aile importante de l’hôpital Necker portera bientôt son nom).
    Sans doute épuisé, mais aussi perturbé, il se met à tousser, croit avoir la grippe, mais contracte en fait une infection pulmonaire, qui se transforme en tuberculose fulgurante. Victime d’hémorragie à l’hôpital, son adjoint le professeur Gabriel Richet lui découvre un voile au poumon qui nécessite d’être opéré. Insuffisamment anesthésié, Jean Hamburger se réveille en cours de procédure, et entendrait les chirurgiens dire « ça n’est pas la peine de continuer, de toute façon, il est foutu », avant de quitter la salle d’opération. Il convoque alors l’un d’entre eux et dirige lui-même l’intervention, sans jamais broncher sous la lame du bistouri. Lorsqu’il sort, choqué, du bloc opératoire, il ne revient que partiellement à lui, un autre homme, qui prétend ne pas savoir qui est sa femme, ni ses enfants. Il affirme ne pas reconnaître Annette, ne pas être marié, et lui demande de cesser de l’importuner. Lorsqu’elle lui présente ses enfants, Bernard et Françoise (Michel, plus jeune, est resté derrière la porte), il leur demande ce qu’ils font là, et réclame le départ de ces inconnus, qui le fatiguent. Amnésie partielle ou opportuniste, accidentcérébral ciblé ou simulacre, on ne le saura jamais. Tout juste peut-on s’étonner de ce drôle de tri sélectif, où la mémoire antérieure n’aurait été affectée que de l’affectif et pas des connaissances…
    Il n’a en effet rien perdu de ses immenses facultés, ou les récupère très vite, comme en témoignent les secrétaires qu’il séduit, mais surtout la suite de sa carrière, qui le verra publier encore une vingtaine d’ouvrages, de philosophie comme de médecine ( La Puissance et la Fragilité, La Raison et la Passion, Le Livre de l’aventure humaine, pour ne citer que les plus fameux), et devenir un immense mandarin, docteur honoris causa de plusieurs universités autour du globe (Athènes, Buenos Aires, Édimbourg, Genève, Lund en Suède), puis triple académicien (des sciences, de médecine, et de l’Académie française), mais coupera brutalement et définitivement les ponts avec sa famille, du jour au lendemain, sans explications. Annette lui écrira tous les lundis pendant presque cinquante ans, lui donnant des nouvelles de ses trois enfants, le vouvoyant toujours, des lettres qui resteront toutes mortes. Leur divorce sera prononcé en 1963 et le professeur Hamburger refera sa vie avec sa secrétaire, Catherine Deschamps.

    « Un monstre d’une autre planète, dit aujourd’hui Marlène Jobert, qui habite boulevard de Courcelles, exactement en face de là où