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Quand un roi perd la France

Quand un roi perd la France

Titel: Quand un roi perd la France
Autoren: Maurice Druon
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s’affirmait dans le monde occidental comme une réalité
indiscutable et rapidement prééminente.
    Vingt-deux millions d’habitants, des
frontières bien gardées, une armée rapidement mobilisable, des féodaux
maintenus dans l’obéissance, des circonscriptions administratives assez
exactement contrôlées, des routes sûres, un commerce actif ; quel autre
pays chrétien peut alors se comparer à la France, et lequel ne l’envie
pas ? Le peuple se plaint, certes, de sentir sur lui une main qu’il juge
trop ferme ; il gémira bien plus quand il sera livré à des mains trop
molles ou trop folles.
    Avec la mort de Philippe le Bel,
soudain, c’est la brisure. La longue chance successorale est épuisée.
    Les trois fils du Roi de fer
défilent au trône sans laisser de descendance mâle. Nous avons conté
précédemment les drames que connut alors la cour de France, autour d’une
couronne mise et remise aux enchères des ambitions.
    Quatre rois au tombeau en l’espace
de quatorze ans ; il y a de quoi consterner les imaginations ! La
France n’était pas habituée de courir si souvent à Reims. Le tronc de l’arbre
capétien est comme foudroyé. Et ce n’est pas de voir la couronne glisser à la
branche Valois, la branche agitée, qui va rassurer personne. Princes
ostentatoires, irréfléchis, d’une présomption énorme, tout en gestes et sans
profondeur, les Valois s’imaginent qu’il leur suffit de sourire pour que le
royaume soit heureux. Leurs devanciers confondaient leur personne avec la
France. Eux confondent la France avec l’idée qu’ils se font d’eux-mêmes. Après
la malédiction des trépas rapides, la malédiction de la médiocrité.
    Le premier Valois, Philippe VI,
qu’on appelle « le roi trouvé », autrement dit le parvenu, n’a pas su
en dix ans bien assurer son pouvoir puisque c’est au bout de ce temps que son
cousin germain, Édouard III d’Angleterre, se décide à rouvrir la querelle
dynastique ; il se déclare en droit roi de France, ce qui lui permet de
soutenir, en Flandre, en Bretagne, en Saintonge, en Aquitaine, tous ceux,
villes ou seigneurs, qui ont à se plaindre du nouveau règne. En face d’un plus
efficace monarque, l’Anglais eût sans doute continué d’hésiter.
    Pas davantage, Philippe de Valois
n’a su repousser les périls ; sa flotte est détruite à l’Écluse par la
faute d’un amiral choisi, sans doute, pour sa méconnaissance de la mer ;
et lui-même, le roi, erre à travers champs, au soir de Crécy, pour avoir laissé
ses troupes à cheval charger par-dessus leur propre infanterie.
    Quand Philippe le Bel instituait des
impôts dont on lui faisait grief, c’était afin de mettre la France en état de
défense. Quand Philippe de Valois exige des taxes plus lourdes encore, c’est
pour payer le prix de ses défaites.
    Dans les cinq dernières années de
son règne, le cours des monnaies sera modifié cent soixante fois ;
l’argent perdra les trois quarts de sa valeur. Les denrées, vainement taxées,
atteignent des prix vertigineux. Une inflation sans précédent rend les villes
grondantes.
    Lorsque les ailes du malheur
tournent au-dessus d’un pays, tout s’en mêle, et les calamités naturelles
s’ajoutent aux erreurs des hommes.
    La peste, la grande peste, partie du
fond de l’Asie, frappe la France plus durement qu’aucune région d’Europe. Les
rues des villes sont des mouroirs, les faubourgs, des charniers. Ici un quart
de la population, ailleurs un tiers succombent. Des villages entiers
disparaissent dont il ne restera, parmi les friches, que des masures ouvertes
au vent.
    Philippe de Valois avait un fils que
la peste, hélas ! épargna.
    Il restait à la France quelques
degrés à descendre dans la ruine et la détresse ; ce sera l’œuvre de
celui-là, Jean II, dit par erreur le Bon.
    Cette lignée de médiocres fut tout
près de faire écarter, dès le Moyen Âge, un système qui confiait à la nature de
produire, au sein d’une même famille, le détenteur du pouvoir souverain. Mais
les peuples sont-ils plus souvent gagnants à la loterie des urnes qu’à celle
des chromosomes ? Les foules, les assemblées, même les collèges restreints
ne se trompent pas moins que la nature ; et la providence, de toute
manière, est avare de grandeur.
     

PREMIÈRE PARTIE

LES MALHEURS VIENNENT DE LOIN
     

I

LE CARDINAL DE PÉRIGORD PENSE…
    J’aurais dû être pape. Comment ne pas
penser et repenser que, par trois
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