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Quand un roi perd la France

Quand un roi perd la France

Titel: Quand un roi perd la France
Autoren: Maurice Druon
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dernières suppliques, les
dernières bénédictions qu’on vous vient demander, le bagage oublié : on ne
part jamais à l’heure décidée. Mais cette fois, c’est vraiment petite étape…
    Brunet !… Holà ! Brunet,
mon ami ; va en tête commander qu’on ralentisse le train. Qui nous emmène
avec cette hâte ? Est-ce Cunhac ou La Rue ? Point n’est besoin de me
secouer autant. Et puis va dire à Monseigneur Archambaud, mon neveu, qu’il
descende de sa monture et que je le convie à partager ma litière. Merci, va…
    Pour venir d’Avignon, j’avais avec
moi mon neveu Robert de Durazzo ; il fut un fort agréable compagnon. Il
avait bien des traits de ma sœur Agnès, et de notre mère. Qu’est-il allé se
faire occire à Poitiers, par ces butors d’Anglais, en se portant dans la
bataille du roi de France ! Oh ! je ne l’en désapprouve pas, même si
j’ai dû feindre de le faire. Qui pouvait penser que le roi Jean irait se faire
étriller de pareille sorte ! Il aligne trente mille hommes contre six
mille, et le soir il se retrouve prisonnier. Ah ! l’absurde prince, le
niais ! Alors qu’il pouvait, s’il avait seulement accepté l’accord que je
lui portais comme sur un plateau d’offrandes, tout gagner sans livrer
bataille !
    Archambaud me paraît moins vif et
brillant que Robert. Il n’a pas connu l’Italie, qui délie beaucoup la jeunesse.
Enfin, c’est lui qui sera comte de Périgord, si Dieu le veut. Cela va le
former, ce jeune homme, de voyager en ma compagnie. Il a tout à apprendre de
moi… Une fois mes oraisons faites, je n’aime point à rester seul.
     

II

LE CARDINAL DE PÉRIGORD PARLE
    Ce n’est pas que je répugne à
chevaucher, Archambaud, ni que l’âge m’en ait rendu incapable. Croyez-moi, je
puis fort bien encore couvrir mes quinze lieues à cheval, et j’en sais de plus
jeunes que moi que je laisserais en arrière. D’ailleurs, comme vous le voyez,
j’ai toujours un palefroi qui me suit, tout harnaché pour le cas où j’aurais
l’envie ou la nécessité de l’enfourcher. Mais je me suis avisé qu’une pleine
journée à ressauter dans sa selle ouvre l’appétit mieux que l’esprit, et porte
à manger et à boire gros plutôt qu’à garder tête claire, comme j’ai besoin de
l’avoir quand souvent il me faut inspecter, régenter ou négocier dès mon
arrivée.
    Bien des rois, et celui de France
tout le premier, conduiraient plus profitablement leurs États s’ils se
fatiguaient un peu moins le rein et davantage la cervelle, et s’ils ne
s’obstinaient à traiter des plus grandes affaires à table, en fin d’étape ou
retour de chasse. Notez que l’on ne se déplace pas moins vite en litière, comme
je le fais, si l’on a de bons sommiers dans les brancards, et la prudence de
les changer souvent… Voulez-vous une dragée, Archambaud ? Dans le petit
coffret à votre main… eh bien, passez-m’en une…
    Savez-vous combien de jours j’ai mis
d’Avignon à Breteuil en Normandie, pour aller trouver le roi Jean qui y montait
un absurde siège ? Dites un peu ?… Non, mon neveu ; moins que
cela. Nous sommes partis le 21 juin, le jour du solstice, et point à la
première heure. Car vous savez, ou plutôt vous ne savez point comment se passe
le départ d’un nonce, ou de deux, puisque nous étions deux en l’occasion… Il
est de bonne coutume que tout le collège des cardinaux, après messe, fasse
escorte aux partants, jusqu’à une lieue de la ville ; et il y a toujours
grande foule à suivre ou à regarder de part et d’autre du chemin. Et l’on se
doit d’aller à pas de procession, pour donner dignité au cortège. Puis on fait
halte, et les cardinaux se rangent en ligne par ordre de préséance, et le nonce
échange avec chacun le baiser de paix. Toute cette cérémonie met loin de
l’aurore… Donc nous partîmes le 21 juin. Or, nous étions rendus à Breteuil le 9
juillet. Dix-huit jours. Niccola Capocci, mon colégat, était malade. Il faut
dire que je l’avais secoué, ce douillet. Jamais il n’avait voyagé d’un tel
train. Mais une semaine plus tard, le Saint-Père avait dans les mains, portée
par chevaucheurs, la relation de mon premier entretien avec le roi.
    Cette fois, nous n’avons pas à tant
nous hâter. D’abord, les journées, en cette époque de l’année, sont brèves,
même si nous bénéficions d’une saison clémente… Je ne me rappelais pas que
novembre pût être si doux en Périgord, comme
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