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Quand un roi perd la France

Quand un roi perd la France

Titel: Quand un roi perd la France
Autoren: Maurice Druon
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été une insulte aux
pauvres que de me choisir ! Il y a des moments où l’Église est saisie
d’une soudaine fureur d’humilité et de petitesse. Ce qui ne lui vaut jamais
rien. Dépouillons-nous de nos ornements, cachons nos chasubles, vendons nos
ciboires d’or et offrons le Corps du Christ dans une écuelle de deux deniers,
vêtons-nous comme des manants, et bien crasseux s’il se peut, de sorte que nous
ne sommes plus respectés de personne, et d’abord point des manants… Dame !
si nous nous faisons pareils à eux, pourquoi nous honoreraient-ils ? Et
nous en arrivons à ne plus nous respecter nous-mêmes… Les acharnés d’humilité,
lorsque vous leur opposez cela, vous mettent le nez dans l’Évangile, comme
s’ils étaient seuls à le connaître, et ils insistent sur la crèche, entre le
bœuf et l’âne, et ils insistent sur l’échoppe du charpentier… Faites-vous
semblable à Notre-Seigneur Jésus… Mais Notre-Seigneur, où est-il en ce moment,
mes petits clercs vaniteux ? N’est-il pas à la droite du Père et confondu
en lui dans sa Toute-Puissance ? N’est-il pas le Christ en majesté,
trônant dans la lumière des astres et la musique des cieux ? N’est-il pas
le roi du monde, entouré des légions de séraphins et de bienheureux ?
Qu’est-ce donc qui vous autorise à décréter laquelle de ces images vous devez,
à travers votre personne, offrir aux fidèles, celle de sa brève existence terrestre
ou celle de son éternité triomphante ?
    … Tiens, si je passe par quelque
diocèse où je vois l’évêque un peu trop porté à rabaisser Dieu en épousant les
idées nouvelles, voilà ce que je prêcherai… Marcher en supportant vingt livres
d’or tissé, et la mitre, et la crosse, ce n’est pas plaisant tous les jours,
surtout quand on le fait depuis plus de trente années. Mais c’est nécessité.
    On n’attire pas les âmes avec du
vinaigre. Quand un pouilleux dit à d’autres pouilleux « mes frères »,
cela ne leur produit pas grand effet. Si c’est un roi qui le leur dit, là,
c’est différent. Procurer aux gens un peu d’estime d’eux-mêmes, voilà bien la
première charité qu’ignorent nos fratricelles et autres gyrovagues. Justement
parce que les gens sont pauvres, et souffrants, et pécheurs, et misérables, il
faut leur donner quelque raison d’espérer en l’au-delà. Eh oui ! avec de
l’encens, des dorures, des musiques. L’Église doit offrir aux fidèles une
vision du royaume céleste, et tout prêtre, à commencer par le pape et ses cardinaux,
refléter un peu l’image du Pantocrator…
    Au fond, ce n’est pas mauvaise chose
de me parler ainsi à moi-même ; j’y trouve arguments pour mes prochains
sermons. Mais je préfère les trouver en compagnie… J’espère que Brunet n’a pas
oublié mes dragées. Ah ! non, les voilà. D’ailleurs, il n’oublie jamais…
    Moi, qui ne suis pas grand
théologien, comme ceux qui nous pleuvent de partout ces temps-ci, mais qui ai
charge de tenir en ordre et propreté la maison du bon Dieu sur la terre, je me
refuse à réduire mon train et mon hôtel ; et le pape lui-même, qui sait
trop ce qu’il me doit, ne s’est pas avisé de m’y contraindre. S’il lui plaît de
s’apetisser sur son trône, c’est affaire qui le regarde. Mais moi qui suis son
nonce, je veille à préserver la gloire de son sacerdoce.
    Je sais que d’aucuns daubent sur ma
grande litière pourpre à pommeaux et clous dorés où je vais à présent, et mes
chevaux houssés de pourpre, et les deux cents lances de mon escorte, et mes
trois lions de Périgord brodés sur ma bannière et sur la livrée de mes
sergents. Mais à cause de cela, quand j’entre dans une ville, tout le peuple
accourt pour se prosterner, on vient baiser mon manteau, et j’oblige les rois à
s’agenouiller… pour votre gloire, Seigneur, pour votre gloire.
    Seulement, ces choses n’étaient pas
dans l’air du dernier conclave, et l’on me le fit bien sentir. On voulait un
homme du commun, on voulait un simple, un humble, un dépouillé. C’est de
justesse que j’ai pu éviter qu’on nous élise Jean Birel, un saint homme,
oh ! certes, un saint homme, mais qui n’avait pas une once d’esprit de
gouvernement et qui aurait été un second Pierre de Morone. J’ai eu assez
d’éloquence pour représenter à mes frères conclavistes combien il y aurait
péril, dans l’état où se trouvait l’Europe, à commettre l’erreur de nous
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