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Par ce signe tu vaincras

Par ce signe tu vaincras

Titel: Par ce signe tu vaincras
Autoren: Max Gallo
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mais un moment d’accablement.
    Le Christ ferme les yeux pour ne pas voir ce que les hommes autour de lui accomplissent. Il s’aveugle délibérément, par miséricorde et compassion, afin de ne pas condamner les bourreaux, de ne pas avoir à choisir entre les crimes non plus qu’entre les meurtriers.
    Et qui ne l’avait pas été, en ce siècle où les souverains faisaient étrangler ou empoisonner leurs proches ?
    Où l’on brûlait des centaines de femmes et d’enfants priant dans leurs lieux de culte, églises ou temples ?
    Où les Turcs, quand ils s’emparent de Chypre, possession de Venise, le 1 er août 1571, égorgent plus de vingt mille des habitants de Famagouste, la dernière ville à leur résister ?
    Ils embarquent sur leurs galères deux mille jeunes femmes destinées aux harems des vizirs et du sultan. Des milliers d’autres ont été violées puis éventrées. Quant aux deux chefs vénitiens, Astor Baglione et Marcantonio Bragadino qui, après avoir longuement combattu, ont capitulé, le premier est coupé en morceaux sur ordre de Lala Mustapha, le commandant des Turcs, et à l’autre, après qu’on l’eut humilié en l’obligeant à ramper devant la tente du chef turc, le dos écrasé par des sacs, on tranche le nez et les oreilles avant de l’écorcher vif. On remplira sa peau de paille, on exposera ce macabre mannequin sur la place de Famagouste, puis on l’accrochera au mât de la galère de Lala Mustapha.
    Quelques jours plus tard, le 17 août, l’église Saint-Nicolas de Famagouste sera transformée en mosquée, et son sol lavé avec le sang de chrétiens égorgés dans la même journée de vendredi, jour sacré de l’islam.
    Ce vendredi 22 août 2003, je ne pouvais cesser de fixer ce visage de christ aux yeux clos.
    — Vous êtes venu, je n’en doutais pas.
    La voix claironnante – triomphante, même – de Maria de Ségovie m’a arraché à ma contemplation.
    Je me suis tourné et c’est alors que je l’ai vue.
    Un étroit bandeau de velours noir couvre son œil gauche.
    Je suis si surpris que je recule d’un pas. Elle rit. Ses lèvres d’un rouge incarnat sont soulignées par un mince trait de maquillage noir.
    — Espagnole, dit-elle en effleurant du bout des doigts son bandeau. Il y a toujours eu des femmes borgnes à la cour d’Espagne.
    Elle hausse les épaules. Elle s’est blessée il y a plusieurs années, en examinant des armes turques. L’œil est infecté.
    — Une malédiction ou une vengeance des fils du Prophète après des siècles. Nous les avons chassés d’Europe, ils nous poursuivent de leur haine. Vous ne croyez pas à ces forces souterraines ? Vous êtes français, vous imaginez que l’Histoire est une ligne droite bien dessinée qui va de bas en haut, vers la raison, sans nul mystère.
    Sa voix s’est durcie. Elle soulève un peu son bandeau.
    Quand elle a perdu son œil, reprend-elle, au lieu de tenter de dissimuler son infirmité elle a décidé de la montrer, ou plutôt de la suggérer.
    — Je suis comme Anna Mendoza de la Cerda, princesse d’Eboli, la borgne la plus célèbre d’Espagne, maîtresse de Philippe II, mère de dix enfants, dont un au moins, blond ou roux, bâtard du roi, les autres nés de son mari Ruy Gomez, le confident du souverain. Il couchait au pied du lit de Philippe II. Il était le complice de ses crimes et de ses frasques. Lorsque Ruy Gomez meurt, la princesse se retire dans un couvent des Carmélites. Mais elle rend les nonnes folles par ses extravagances, ses toilettes, ses parfums, ses poudres, ses chiens, ses courtisans, ses domestiques auxquels elle ne renonce pas. Au bout de quelques mois, Thérèse d’Avila la chasse et la princesse d’Eboli choisit pour amant Antonio Pérez, le nouveau conseiller de Philippe II, l’homme le plus avide, le plus tortueux, le plus ambitieux qu’ait jamais compté l’Espagne. Ces deux-là…
    Elle penche un peu la tête, soupire, me fixe de son œil droit dont l’ovale est prolongé par une cicatrice de rimmel qui monte jusqu’à la tempe.
    — … ces deux-là sont emportés par une passion ardente. Ils se couvrent chaque jour de cadeaux. Ils ont besoin de cette démesure. Un matin, un certain Escovedo, secrétaire de don Juan d’Autriche…
    Elle soupire.
    — … vous connaissez, j’imagine, don Juan, le demi-frère de Philippe II, le bâtard de Charles Quint, le général de la Mer, vainqueur des Turcs à Lépante ? Même un Français ne peut
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