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Nord et sud

Nord et sud

Titel: Nord et sud
Autoren: Elizabeth Gaskell
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elle ne se soucie pas plus de son affection que si c’était celle d’un homme
ordinaire ; il travaille dur, et ses efforts sont vains. D’autres s’enrichissent
et tiennent leur misérable réputation bien au sec, à l’abri du déshonneur.
    — Le déshonneur ne m’a jamais effleuré, dit-il à
mi-voix.
    Mais elle poursuivit :
    — Je me suis parfois demandé ce qu’il était advenu de
la justice, et je crois à présent qu’elle n’existe pas en ce monde, quand je te
vois réduit à cette extrémité. Toi, mon John, mon fils. Même si nous devons
mendier ensemble, tu seras toujours mon fils chéri.
    Elle lui passa les bras autour du cou et l’embrassa à
travers ses larmes.
    — Mère ! dit-il en la serrant tendrement dans ses
bras, à qui dois-je mon sort en ce monde, en bien comme en mal ?
    Elle secoua la tête. Pour l’instant, elle ne voulait pas
entendre parler de religion.
    Voyant qu’elle gardait le silence, il poursuivit :
    — Moi aussi, j’ai été révolté ; mais je m’efforce
de ne plus l’être. Aidez-moi comme vous m’avez aidé lorsque j’étais enfant.
Alors, vous m’avez dit de bonnes paroles, quand mon père est mort et que nous
nous sommes trouvés dans le dénuement, un dénuement que nous ne connaîtrons
plus jamais maintenant ; vous m’avez dit de bonnes paroles alors, nobles
et pleines de confiance ; je ne les ai jamais oubliées, bien qu’elles
aient sommeillé pendant de longues années. Parlez-moi de nouveau comme vous le
faisiez alors, mère. Il ne faut pas que nous puissions croire que le monde a
endurci nos cœurs. Si vous me parliez comme par le passé, je retrouverais un
peu de la pieuse innocence de mon enfance. Je me les répète, ces paroles, mais
venant de vous, et sachant tous les soucis et les épreuves auxquels vous avez
dû faire face, elles auraient plus de force.
    — J’ai eu bien des peines, il est vrai, sanglota-t-elle,
mais aucune n’a été aussi dure que celle-ci. Te voir ainsi exclu de la place
qui est légitimement la tienne ! Pour moi, passe encore, John ; mais
pour toi, non ! Pas pour toi ! Dieu a jugé bon de se montrer très dur
avec toi, vraiment très dur.
    Les sanglots la secouaient, convulsifs comme le sont
généralement ceux d’une personne âgée. Le silence qui régnait autour d’elle
finit par la frapper, et elle se calma pour écouter. Aucun bruit. Elle leva les
yeux. Son fils était assis devant la table, les bras étendus, la tête penchée
en avant.
    — Oh, John ! dit-elle, en lui relevant le visage.
    Il était si pâle et son expression était si étrange et si
triste que l’espace d’un instant, elle crut qu’il allait mourir. Mais bientôt,
ses traits perdirent leur rigidité et sa couleur naturelle revint. Lorsqu’elle
vit qu’il était redevenu lui-même, toutes les considérations sociales s’effacèrent
devant le sentiment de bonheur que lui donnait sa simple existence. Elle rendit
grâce à Dieu de cela – et de cela à l’exclusion de tout le reste – avec une
ferveur qui bannit de son esprit tout sentiment rebelle.
    Il n’avait guère envie de parler ; mais il alla ouvrir
les volets et la lueur rose de l’aube envahit la pièce. Le vent soufflait de l’est
et il faisait un froid coupant, comme depuis plusieurs semaines. Cette année,
il n’y aurait pas de demande pour des tissus légers d’été. Cet espoir d’une
reprise du commerce devait être abandonnée.
    Ce fut pour Mr Thornton un grand réconfort d’avoir eu
cette conversation avec sa mère et de sentir que, même s’ils ne parlaient plus
dorénavant de ces inquiétudes, ils se comprenaient et que, même sans être en
parfaite harmonie l’un avec l’autre, ils n’étaient du moins pas en désaccord
dans leur façon d’envisager la situation. Le mari de Fanny se froissa lorsque
Mr Thornton refusa de prendre part à la spéculation qu’il lui avait
proposée, et il se dégagea de façon à ne lui laisser espérer aucune aide de sa
part, car il avait besoin d’argent comptant pour l’engager dans cette
entreprise.
    Il fut bientôt impossible de reculer davantage l’échéance
que Mr Thornton redoutait et prévoyait depuis plusieurs mois. Il dut
renoncer au travail dont il s’était si longtemps acquitté avec tant d’honneur
et de succès, et chercher une position de subordonné. La manufacture de
Marlborough et la maison adjacente étaient louées à long terme ; elles
devaient, si possible, être
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