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Nord et sud

Nord et sud

Titel: Nord et sud
Autoren: Elizabeth Gaskell
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protesta
sa mère, qui pensait secrètement à un jeune et beau Mr Gorman qu’elle avait
rencontré une fois chez Mr Hume.
    — Mais pas du tout ! Je considère que j’ai des goûts
fort éclectiques. J’aime tous ceux dont le métier a un rapport avec la terre. J’aime
aussi les soldats et les marins, et les trois professions savantes, comme on dit.
Je suis sûre que vous ne tenez pas à me voir admirer les bouchers, les boulangers
et les fabricants de bougeoirs, n’est-ce pas, maman !
    — À ceci près que les Gorman n’étaient ni bouchers, ni boulangers,
mais exerçaient la respectable profession de carrossiers.
    — Fort bien. Il n’empêche que fabriquer et vendre des carrosses
est un négoce, que je crois beaucoup moins utile que celui des bouchers ou des boulangers
d’ailleurs. Mon Dieu, je n’en pouvais plus des promenades quotidiennes dans la voiture
de ma tante et je mourais d’envie de marcher !
    Pour marcher, Margaret marchait, en dépit du temps. Elle se sentait
si heureuse dehors, aux côtés de son père, qu’elle en dansait presque. Et lorsqu’elle
traversait une lande, le dos exposé à la douce violence du vent d’ouest, elle paraissait
comme poussée vers l’avant, aussi légère et libre que la feuille d’automne portée
par la brise. Mais les soirées étaient plus difficiles à meubler agréablement. Aussitôt
après le thé, son père se retirait dans sa petite bibliothèque, et Margaret restait
en tête-à-tête avec sa mère. Mrs Hale n’avait jamais montré un goût prononcé
pour les livres et, tout au début de leur vie conjugale, elle avait découragé son
mari de lui faire la lecture à haute voix pendant qu’elle se livrait à ses travaux
d’aiguille. A une époque, ils avaient essayé le trictrac comme délassement ;
mais à mesure que croissait l’intérêt de Mr Hale pour son école et ses paroissiens,
il s’apercevait que sa femme trouvait fâcheuses les interruptions engendrées par
ces devoirs, et que, loin de les accepter comme naturellement inhérentes à sa profession,
elle les déplorait et s’efforçait de les combattre chaque fois que l’une d’elles
se présentait. Aussi s’était-il retiré dans sa bibliothèque, alors que les enfants
étaient encore petits, afin de passer ses soirées, lorsqu’il était à la maison,
à lire les ouvrages théoriques ou métaphysiques auxquels il prenait grand plaisir.
    Chaque fois que Margaret était venue en visite, elle avait apporté
avec elle une grande malle de livres recommandés par les maîtres ou la gouvernante
et avait trouvé les journées d’été beaucoup trop courtes pour avoir le temps de
terminer ses lectures avant de regagner Londres. Maintenant, elle n’avait plus à
sa disposition que les classiques anglais reliés avec élégance et fort peu lus,
qui avaient été soustraits à la bibliothèque de son père afin de garnir les petites
étagères du salon. Les Saisons de Thomson, le Cowper de Hailey, le Cicéron de Middleton [7] figuraient parmi les ouvrages les plus légers, les plus récents et les plus amusants
de l’ensemble. Les étagères ne fournissaient pas grande ressource. Margaret racontait
à sa mère tous les détails de sa vie à Londres, que Mrs Hale écoutait avec
intérêt, tantôt amusée et curieuse, tantôt encline à comparer la vie facile et confortable
de sa sœur avec les moyens modestes dont on disposait au presbytère de Helstone.
Ces soirs-là, Margaret avait tendance à cesser de parler brusquement et écoutait
la pluie crépiter sur les croisillons de plomb de la petite fenêtre en rotonde.
A une ou deux reprises, elle se surprit à compter machinalement les répétitions
de ce son monotone, tout en réfléchissant pour savoir si elle allait se risquer
à poser une question sur un sujet qui lui tenait très à cœur, et de demander où
se trouvait Frederick à présent ; ce qu’il faisait ; quand ils avaient
reçu de ses nouvelles pour la dernière fois.
    Mais elle était parfaitement consciente de la santé délicate
de sa mère et de sa désaffection marquée vis-à-vis de Helstone – qui remontaient
l’une et l’autre à l’époque de la mutinerie à laquelle Frederick s’était trouvé
mêlé et dont Margaret n’avait jamais entendu un récit complet alors même que cet
épisode paraissait désormais devoir être enterré dans un triste oubli –, aussi hésitait-elle
à aborder la question, s’en détournant chaque fois qu’elle était
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