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Mourir pour Saragosse

Mourir pour Saragosse

Titel: Mourir pour Saragosse
Autoren: Michel Peyramaure
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brutale qui nous a plongés dans l’affliction. Il avait pourtant conscience, sans nous en faire part, sinon avec dérision, de sa fin prochaine.
    Il m’a confié, quelques semaines avant sa mort, que sa longue présence sur cette terre était « un défi à la logique » et que sa vie « n’avait plus de sens ».
    Il ne semble pas qu’il eût souhaité disparaître, malgré ses difficultés à se déplacer en raison de son infirmité. Il a gardé jusqu’au bout sa lucidité, s’occupant des travaux saisonniers et s’informant des événements de la province et du pays.
    Trois semaines avant de s’aliter, il montait encore à cheval, solidement amarré à sa selle. Il aurait difficilement pu se passer de ces promenades quotidiennes auxquelles ilnous demandait souvent, à moi ou à ma sœur, de l’accompagner, ce qui était une joie pour nous.
    Il me dit un jour, alors que nous avions arrêté nos montures sous un gros arbre, à l’entrée de la châtaigneraie :
    – Depuis mon retour des armées, j’ai eu deux grandes satisfactions : voir ce domaine s’épanouir et épouser ta mère. Le jour où je quitterai ce monde, je n’aurai plus rien à désirer, si bien que cette perspective ne me tracasse pas. Le pire eût été pour moi de mourir à Saragosse…
    Il avait ajouté en allumant sa pipe :
    – Je sais que je peux compter sur toi, mon aîné, pour prendre ma suite. Si tu dois partir aux armées, fais en sorte d’en revenir vite. Ta place est ici. C’est une sorte de guerre que nous y menons, contre les éléments et les hommes. Je sais que je peux te faire confiance, comme à vous tous.
    Le docteur Dufour, médecin à Villamblard, nous avait affirmé :
    – Monsieur de Barsac a fort grossi mais peut vivre encore des années, s’il cesse d’abuser du tabac, du vin et de la bonne chère, et si vous lui évitez les fatigues et les émotions. Les battements de son cœur sont irréguliers, sans présenter de signes alarmants. Veillez à ce qu’il prenne régulièrement ses remèdes.
    Deux ans avant sa mort, il avait mis le point final à ce qu’il considérait comme l’œuvre majeure de sa vie : ses Mémoires d’un officier de l’Empire, à Saragosse et autres lieux .
    Il m’en avait fait la lecture durant tout un hiver, devant la cheminée, s’interrompant parfois pour de brèves somnolences dont il s’excusait.
    Mon beau-père n’avait pu qu’en de rares occasions s’illustrer en Espagne comme au cœur de l’Europe. On ne trouverait ni son nom ni le détail de ses exploits dans les ouvrages des historiens. Il n’avait pas, comme Marbot, figuré sur le testament de l’Empereur. On chercherait en vain son nom sur l’Arc de triomphe ou dans les rues de Paris.
    Peut-être est-ce mieux ainsi. Le rôle de témoin, m’a-t-il dit, lui convenait mieux que celui de participant, bien qu’on ne fît jamais appel en vain à son courage et qu’il n’eût jamais failli. Il avait ce don d’observation et ce bon sens qui manquaient souvent à ses supérieurs auxquels échappait la vue d’ensemble des événements.

    Un matin de mai, nous l’avons trouvé allongé dans son lit. Une ombre de sourire aux lèvres, les traits empreints de la sérénité du sommeil, les yeux entrouverts sur les rideaux qui laissaient filtrer la délicate lumière du printemps.
    Tardant à le voir paraître, notre servante avait pénétré dans sa chambre et, croyant qu’il dormait encore, lui avait en vain secoué l’épaule. Du milieu de la cour, alors que je revenais des écuries, j’ai compris, à ses lamentations, que mon beau-père venait de nous quitter sans nous avoir fait ses adieux.
    Nous l’avons revêtu de son habit de capitaine des chasseurs à cheval. Entre ses mains, j’ai glissé non un chapelet mais le sabre de Murat dont il nous avait dit qu’il ne se séparerait jamais « même dans la mort ». En regardant la poignée damasquinée, je songeais aux pages de feu, de fer et de sang qu’il avait consacrées à Saragosse. Ma sœur aurait aimé garder cette arme ; je m’y opposai pour respecter la volonté du défunt.
    Il nous reste de lui un grimoire percé par une balle, logée dans ses pages au temps du siège, le pastel réalisé aux alentours du couvent San-José, au soir d’un engagement, et quelques babioles. Le général Lejeune, auteur de ce portrait, a été son supérieur, son compagnon d’armes et son ami. La retraite de mon beau-père les a séparés mais il nous en
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