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Mourir pour Saragosse

Mourir pour Saragosse

Titel: Mourir pour Saragosse
Autoren: Michel Peyramaure
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indigènes.

    Dans les mois qui suivirent, je reçus une lettre de sa part. Il se trouvait à l’hôpital d’Alger, après une blessure reçue dans un accrochage, au col de la Mouzaïa. Il me disait :
    Moi, que l’Empereur a porté sur son testament et qui jouis d’une rente de quatre-vingt mille livres, être blessé par un de cespouilleux d’Arabes qui n’a pas quatre sous à lui, quelle humiliation !
    Ce furent les dernières nouvelles que j’eus de lui.
    J’appris par un journal de Paris, en novembre de l’année 1854, sa mort dans sa résidence de Bonneuil. Il avait achevé ses mémoires et s’apprêtait à les livrer à l’imprimeur.

    Sans risquer de cas de conscience, Fournier-Sarlovèze avait mis son sabre au service de la Restauration, mais en s’opposant à ce que les officiers d’Empire fussent traités « comme de la crotte de bique ». Il n’avait pu éviter que vingt mille hommes rescapés de l’épopée impériale fussent réformés.
    Il semblait n’avoir pas perdu son goût pour les duels et les excentricités. À Paris, alors qu’il prenait son repas dans un restaurant, il eut des mots avec un talon rouge arrogant, capitaine des grenadiers de la garde royale. Le duel, comme à Souillac, n’eut pas lieu, le général Fournier-Sarlovèze ne pouvant affronter un capitaine, fût-il marquis.
    Scandalisé par un décret royal interdisant la traversée de Paris à cheval, il s’était lancé à bride abattue sur les boulevards et ne s’était arrêté, ostensiblement, que devant les grilles des Tuileries. Au procès que lui avait valu cette provocation, il avait plaidé sa cause en disant que les boulevards ne sont pas « dans Paris ». Il s’était écrié :
    – À moi qui ai traversé à cheval les grandes capitales d’Europe, on voudrait m’interdire de le faire à Paris ? C’est un scandale !
    Le public l’avait ovationné.

    Devenu inspecteur des Armées, il avait obtenu du ministère la possibilité de résider dans sa ville natale. Il s’était entouré d’une camarilla d’officiers dans le but de narguer les gens qui l’avaient méprisé : noblesse, sous-préfet, maire, tousoutrés que ce fils de cabaretière tînt le haut du pavé. Durant les cérémonies à la cathédrale, il faisait mine de les ignorer.
    La vieillesse venue, il souffrait atrocement mais sans se plaindre, sinon à moi, de rhumatismes et de maux de tête, à la suite d’une blessure mal soignée au crâne. Conséquences positives de ses ennuis de santé : la restriction de ses excentricités et de ses palinodies.
    François mourut dans son hôtel particulier de Paris, rue Le Pelletier. Peu rancunier, le roi Charles X lui avait confié la rédaction du code de justice militaire. Il y travaillait. Qu’il fût mort dans son lit, et non au cours d’un duel ou d’une bataille, aurait pu me décevoir. J’ignore si son compère, le mystérieux bretteur, fût de ses obsèques : Fournier est mort en emportant son secret.
    Je me souviens qu’avant de remonter dans sa calèche, à Souillac, il nous avait dit avec une profonde émotion dans la voix :
    – Mes amis, cette journée restera dans ma mémoire jusqu’à ma fin. N’oublions jamais l’épopée que nous venons de vivre et gardons dans notre cœur une place pour celui qui est mort en exil, sur son rocher.
    Il avait ajouté en nous embrassant :
    – Nous ne nous reverrons peut-être jamais. Alors, adieu !
    Dans son testament, il a fait preuve de générosité : une grosse somme allait être partagée entre ses officiers les plus fidèles, et ses biens de Sarlat offerts aux établissements hospitaliers. On ne lui a pas connu de liaison suivie, et donc d’héritiers naturels. Le temps se chargera d’effacer de la mémoire des hommes les souvenirs détestables que ce « mauvais sujet » aura laissés à Sarlat et ailleurs, mais on n’oubliera pas les faits d’armes qui en ont fait un des plus brillants officiers de l’Empire. Avec lui mourait une épopée.

4
    Un matin de mai
    Récit de Fabrice, Barsac, mai 1858
    Le baron Antoine de Barsac, capitaine des chasseurs à cheval, officier de la Légion d’honneur, héros de Saragosse et d’autres lieux, est mort hier, le 18 mai, dans son manoir près de Beauregard.
    Je considère cet homme comme mon père ; il avait pour moi la même affection que celle qu’il vouait à ses propres enfants. Bien qu’il eût atteint un âge avancé, rien ne laissait présager cette fin
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