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Montségur et l'enigme cathare

Montségur et l'enigme cathare

Titel: Montségur et l'enigme cathare
Autoren: Jean Markale
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Cette impression fugace, de quelques
dixièmes de seconde, me paraît inexplicable. Avais-je en mémoire les nombreux
contes populaires où il est question d’un château suspendu dans les airs, mystérieusement
fixé par quatre chaînes d’or à quelque chose qui n’est pas dit, mais qui est
situé plus haut et qui est invisible ? Ou alors, pensais-je à cette « Chambre
de Cristal » où, dans le très beau texte médiéval de la Folie Tristan , le héros, sous l’apparence d’un fou, déclare
au roi Mark qu’il emmènera la reine Iseult ? Cette « Chambre de
Cristal » n’est-elle pas la même que la « Chambre de Soleil »
des légendes irlandaises, et où quiconque y séjourne est revivifié par la
lumière céleste ? N’est-ce pas encore le « Château invisible », la
« prison d’air » où la fée Viviane a enfermé l’enchanteur Merlin ?
N’est-ce pas l’ éplumoir Merlin , comme le dit
un texte du XIII e  siècle ?
    Toutes ces pensées affluaient en moi sans que j’y pusse
mettre un ordre quelconque. Elles me frappaient au même rythme que les coups de
vent. L’imagination est une belle chose. Le tout est de savoir s’en servir, et
pour ce faire, il convient de la maîtriser. Je persiste à croire, encore
aujourd’hui, que ce ne furent que des images extrêmement brèves, et qu’en aucun
cas, lors de cette entrée dans la forteresse de Montségur, je ne fis un
quelconque rapprochement entre ces légendes qui m’étaient familières et l’hypothèse
maintes fois avancée que cette construction est en réalité un temple solaire. Je
me contentais de vivre l’instant.
    Et je l’ai mal vécu.
    Dans la cour, deux hommes étaient en train de relever des
mesures à l’aide d’une chaîne d’arpenteur. Ils notaient fébrilement des
chiffres sur un calepin. Un autre homme rasait les murs et tentait de repérer l’alignement.
Sur la plate-forme orientale où l’on peut accéder par un escalier, quelqu’un
déclamait un poème en allemand. Je montai à mon tour. Là-bas, au loin, des
sommets, rien que des sommets. Le vent emportait la voix du diseur de poème.
    Alors, je regardai en bas .
    Je n’ai jamais ressenti un vertige aussi intense, aussi
douloureux que cette fois-là. En regardant ces pentes déchiquetées, ces ravins
qui s’ouvraient sous moi comme un abîme infernal, je n’ai pu lutter contre la
sourde terreur qui m’envahissait. J’avais beau me raisonner, rien n’y faisait. Pascal
raconte quelque part, ou plutôt imagine, que si on mettait une planche très
solide, mais très étroite, entre les deux tours de Notre-Dame de Paris, et que
si on obligeait le plus brave philosophe du monde à passer ainsi d’une tour à l’autre,
il aurait une telle peur qu’il refuserait d’aller plus loin. Pascal veut
démontrer que la certitude intellectuelle est impuissante en face de la
puissance de l’imagination, et que celle-ci est une donnée viscérale. Il est
vrai que Pascal n’avait pas le vertige, lui qui s’était livré à la fameuse expérience
de la colonne de mercure sur le Puy-de-Dôme. Mais, moi, j’avais le vertige, un
vertige atroce qui m’a fait revenir à l’intérieur des murs. Là, au moins, en
dépit de cette sensation d’emprisonnement, j’avais l’illusion de la sécurité.
    Mais quand il me fallut redescendre, ce fut bien pire. Je
crois ne jamais avoir éprouvé un tel vide en moi. Et ce vide était provoqué par
la pente que je n’avais point remarquée en montant allégrement, mais qui, maintenant,
s’imposait à mes yeux dans toute son immensité. J’ai dû ramper, me faufiler à
quatre pattes à travers les broussailles, n’ayant aucune confiance dans les
cailloux du sentier que je voyais rouler sous mes pieds et provoquer de gigantesques
avalanches dans lesquelles je m’impliquais évidemment. Jean-Jacques Rousseau, qui
prenait certain plaisir à souffrir, passait des heures penché sur des précipices
redoutables, et il allait même jusqu’à y lancer des cailloux en imaginant que
ces cailloux étaient lui-même précipité dans les abîmes les plus ténébreux de
la peur. Tout précipice est un ventre maternel ouvert. Avons-nous peur de nous
y engloutir, avons-nous peur de faire le chemin en
sens inverse , de rompre ainsi la ligne continue du devenir, de nous
dissoudre dans l’océan primordial de la non-existence ? Je serais tenté de
répondre par l’affirmative. Mais était-ce seulement cela ?
    La pensée humaine
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