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Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Titel: Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin
Autoren: Jan Karski
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Warszawa et au camp de la mort de Belzec. Mon témoignage fut enregistré et l’on me dit qu’il figurerait comme chef d’accusation dans le réquisitoire des Nations unies contre l’Allemagne clxxiv .
    Je fus aussi interviewé par la presse britannique et celle des autres pays alliés, par des membres du Parlement, par des groupes intellectuels et des gens de lettres ainsi que par des membres des différentes Églises. J’eus le privilège, en cette période mémorable, de rencontrer l’élite politique, culturelle et religieuse de la Grande-Bretagne.
    La contribution de la Pologne à l’effort de guerre semblait bien différente selon qu’on la jugeait depuis London ou sur place, dans une réunion clandestine de conspirateurs. À London, notre effort représentait quelques centaines de milliers de soldats polonais, une poignée de navires, et quelques milliers d’aviateurs polonais dont on reconnaissait l’héroïsme au cours de la bataille d’Angleterre, mais qui se perdaient dans la masse écrasante de la puissance aérienne alliée. Nos efforts, pour London, se résumaient à la brève campagne de septembre et à quelques échos d’une résistance obstinée contre l’occupant.
    Du point de vue britannique, tout cela ne pesait pas lourd. London représentait l’axe d’un immense rouage militaire dont les rayons étaient des billions de dollars, des armadas de bombardiers, de navires de guerre et de fantastiques armées qui avaient cruellement souffert. Et puis les gens vous demandaient également si les sacrifices de la Pologne pouvaient se comparer à l’héroïsme immense et aux souffrances immenses du peuple russe. Quelle était la part de la Pologne dans cette gigantesque entreprise ? Et qui étaient les Polonais ?
    À Warszawa, la perspective était différente. Là, la participation de la Pologne signifiait qu’on avait relevé le défi porté par la plus formidable et la plus cruelle machine de guerre qui ait jamais existé, et cela alors que l’Europe tout entière restait passive ou transigeait. Elle signifiait la première résistance à l’envahisseur nazi – une résistance qui n’était pas fondée sur la défense de Gdansk ou d’un quelconque corridor, mais sur les principes éthiques sans lesquels les nations ne peuvent coexister. Pour nous, à Warszawa, cette résistance signifiait nous battre, risquer tous les jours la vie des milliers d’hommes qui faisaient partie du mouvement clandestin ; cela signifiait que jusqu’à la mort, et malgré le sacrifice de cinq millions de vies humaines, nous gardions intacte notre foi dans notre juste cause.
    Je me rendis très vite compte que le monde extérieur ne pouvait comprendre les deux grands principes de la résistance polonaise. Il ne pouvait ni comprendre ni estimer à sa juste valeur le sacrifice et l’héroïsme d’une nation tout entière qui refuse la collaboration avec l’Allemagne. Il ne pouvait même imaginer ce qu’il nous avait fallu de fermeté pour faire en sorte qu’il n’y ait pas un seul Quisling parmi nous. La notion d’un « État clandestin » lui était même souvent inintelligible, parce qu’ailleurs il y avait des collaborateurs, des Quisling et des compromis. Le fait que dans la clandestinité puisse fonctionner normalement un appareil d’État, avec un parlement, un gouvernement, un appareil judiciaire, une armée relevait à leurs yeux de la pure fantaisie. Parfois les Polonais émigrés eux-mêmes avaient du mal à se représenter la situation de leur pays dans cette guerre. J’essayai maintes fois à l’époque d’expliquer cette situation à des officiers ou à des soldats polonais, mais la plupart d’entre eux révélaient alors une sorte de curieux complexe d’infériorité : « L’armée polonaise reste inactive, se plaignaient-ils ou bien, quand ferons-nous enfin autre chose que de nous entraîner ? »
    Je tentais alors de leur faire comprendre que l’Armée polonaise en tant qu’un tout, eux à London et nous en Pologne, nous avions subi des pertes bien plus lourdes que nos alliés occidentaux. Mais ils voulaient tous se battre le plus vite possible, comme se battaient les Polonais en Pologne.
    Un beau jour, au début de mai 1943, je reçus une convocation du général Sikorski. Je me rendis à son bureau et il me donna les ordres suivants :
    — Vous allez bientôt vous rendre aux États-Unis, me dit-il à brûle-pourpoint. Avec la même mission qu’ici. Je ne vous
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