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Milena

Milena

Titel: Milena
Autoren: Margarete Buber-Neumann
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« Regarde la couleur de mes pieds. Ce sont les
pieds d’une mourante. Et ces mains ? » Elle me tendit la paume de ses
mains : « Tu vois ? Les lignes disparaissent déjà, comme cela se
passe juste avant la mort… »
    Son père lui envoya l’une après l’autre trois vues de Prague,
des tableaux romantiques dus au peintre Morstadt, exécutés dans le style
Biedermeier. Milena regarde les vieilles gravures ; à l’orée de la mort
déjà, elle me guide à travers sa ville, à travers Prague ; son doigt m’indique
précisément les lieux et les trajets sur les cartes postales : « Je
traversais souvent ce pont avec Fredy Mayer, mon ami. C’était quelqu’un qui
savait voir la beauté… Là-bas, sur le parapet, il y a la statue de saint Népomucène…
Et juste derrière, en prenant les petites ruelles, nous arrivons directement à
la grande place du marché… » Nous regardons la splendide façade d’une
église, avec ses deux clochers élancés, et dont le portail disparaît sous la
charmille. Le doigt de Milena désigne un vieux puits sur la margelle duquel se
dressent quatre anges aux glaives pointés. « Viens, continuons par cette
petite rue, avec ses bons vieux pavés inégaux… » Nous franchissons un
portail et entrons dans la cour d’un palais ; ses escaliers s’élèvent sous
des volées d’arcades… Puis nous voici à l’entrée d’un clocher, au pied d’un
escalier en colimaçon. Nous voulons y monter tous les trois… « Pas si vite !
Tu sais bien qu’avec ma jambe raide, j’ai du mal à monter les escaliers – Fredy
aussi, d’ailleurs… », s’exclame-t-elle, interrompant sa description des
lieux. Je la regarde, vois son visage absent et je sais, tout à coup, que son
imagination s’est délivrée des chaînes de la captivité. Elle est chez elle ;
par la meurtrière d’une tour, elle contemple avec nous sa ville aux charmes
inépuisables, avec ses centaines de clochers, son enchevêtrement de toits à
pignons, ses labyrinthes de ruelles et de cours, ses palais endormis… Elle se
redresse, cherche la dernière lettre de son père où il évoque « le plus
beau printemps et ses promenades matinales au jardin Kinsky ». Se laissant
retomber sur les oreillers, elle dit doucement : « Pourquoi faut-il
que táta soit si avare de paroles… »
    Puis arrive encore une carte de Prague où le père écrit – par
amour pour sa fille – un mensonge. Il y affirme que Honza a réussi son examen
au conservatoire. Mais Milena – peut-être a-t-elle percé à jour la supercherie
– se détourne et renonce à lire la suite.
    Le 15 mai 1944, on m’appelle à la remise des colis. On m’y
remet un grand carton destiné à Milena ; l’expéditeur en est Joachim von
Zedtwitz, à Gerdauen. Je cours auprès de Milena avec le paquet ; elle n’a
déjà plus toute sa conscience. Mais, entendant le nom de Zedtwitz, elle se redresse,
me le fait répéter plusieurs fois – elle n’y voit plus, déjà – et se laisse
retomber avec un soupir de bonheur : « Il est vivant ! Quel
miracle ! Je croyais qu’ils l’avaient fusillé… »
    Joachim von Zedtwitz, qui avait été arrêté à Prague peu
après Milena, avait été remis en liberté, un de ses oncles s’étant porté garant
de lui. Sous contrôle policier, il se mit pourtant en contact avec le père de
Milena, apprit ainsi dans quel camp de concentration elle était et alerta, pour
tenter de la sauver, un avocat. Celui-ci demanda, afin d’introduire un recours
en grâce, qu’on lui fasse parvenir de Prague toute la documentation nécessaire.
Tout était prêt lorsqu’une bombe aérienne tomba sur la maison et tua l’avocat.
    L’après-midi du 15 mai, on vient me faire savoir au travail
que Milena est à l’agonie. Je n’hésite pas une minute, j’abandonne tout
simplement mon poste. Qu’est-ce que je risque, aussi bien ? Lorsque j’arrive,
Milena, moribonde, est en pleine euphorie. Son visage est rayonnant, ses yeux
bleu foncé étincellent et lorsque je m’approche d’elle, elle tend les bras, me
saluant de ce geste magnifique qui lui est particulier. Elle ne peut plus
parler. Ses amies tchèques arrivent de tout le camp, elles font cercle autour
de son lit, se tiennent dehors devant la fenêtre ; Milena les embrasse
toutes d’un regard plein de félicité, elle prend congé de la vie. Le soir, elle
perd conscience. Elle lutte avec la mort jusqu’au 17 mai. Alors seulement, je
retourne à la
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