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Milena

Milena

Titel: Milena
Autoren: Margarete Buber-Neumann
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Rencontre au Mur des Lamentations
    C’est le 21 octobre 1940 que je reçus la première lettre
de Milena ; il s’agissait d’un morceau de papier qui me fut subrepticement
glissé dans la main alors que je me trouvais dans l’allée qui traverse le camp.
Cela ne faisait que quelques jours que nous nous connaissions. Mais quel sens
cela a-t-il de parler de jours quand le temps ne se décompose plus en heures et
en minutes mais en battements de cœur ?
    C’est au camp de concentration de femmes de Ravensbrück que
nous nous sommes rencontrées. Milena avait entendu parler de mes mésaventures [1] par une Allemande arrivée au camp par le même transport qu’elle. La journaliste
Milena Jesenská voulait donc me parler, elle voulait savoir s’il était vrai que
l’Union soviétique avait livré à Hitler des militants antifascistes qui avaient
émigré en URSS. C’est pendant la promenade des « nouvelles arrivantes »
que Milena vint à moi. Cette promenade s’effectuait sur un chemin étroit, entre
l’arrière des baraques et le mur du camp, ce mur immense, surmonté de barbelés
où passait un courant à haute tension et qui nous séparait de la liberté. Elle
se présenta en disant : « Milena de Prague. » Sa ville natale
était plus importante pour elle que son nom de famille. Je n’oublierai jamais
le geste qu’elle fit pour me saluer, cette première fois, la force et la grâce
qui accompagnaient ce geste. Lorsque sa main fut dans la mienne, elle dit d’un
ton légèrement ironique : « Je vous en prie, ne la serrez pas, ne la
secouez pas comme vous autres Allemands avez l’habitude de le faire. J’ai les
doigts malades… » Son visage était marqué par les grandes souffrances qu’elle
avait connues, il était gris et pâle comme le sont ceux des prisonnières. Mais
l’impression de maladie qui se dégageait d’elle disparut aussitôt, tant étaient
vifs ses mouvements, tant était grande la force qui émanait de son regard. Milena
était grande, elle avait des épaules larges et droites et une tête gracile. Ses
yeux comme son menton trahissaient un grand esprit d’initiative, et sa belle
bouche énergique l’excès de sentiments qui l’habitait. Son nez délicatement
féminin donnait une apparence plutôt fragile à son visage et le sérieux de son
front quelque peu bombé se trouvait atténué par les petites boucles qui l’encadraient.
    Nous nous tenions sur l’étroit chemin et empêchions les
autres d’avancer, bloquions le va-et-vient de la masse compacte des détenues. Gagnées
par la colère, celles-ci essayaient de nous pousser en avant avec des gestes
rageurs ; je n’avais donc qu’une idée en tête : mettre un terme le
plus rapidement possible à ces salutations et reprendre ma place dans la ronde
au rythme prescrit. J’avais en effet appris au fil des années passées en
détention à m’adapter aux lois qui régissent les mouvements de ces troupeaux de
détenues. Mais Milena était totalement dépourvue d’une telle faculté. Elle se
comportait sur l’allée du camp de concentration exactement de la même façon que
si l’on nous avait présentées l’une à l’autre sur le boulevard de quelque ville
paisible. Elle faisait traîner en longueur les salutations. Elle était tout à
la joie de faire une nouvelle connaissance, empoignée peut-être aussi par la
passion du reporter, par la perspective de sonder un destin étrange. Sans se
laisser le moins du monde troubler par les récriminations de la masse qui nous
entourait, elle savourait l’événement en toute quiétude. Pendant les premiers
instants, son insouciance m’avait mise hors de moi ; puis elle avait
commencé à me fasciner. J’avais en face de moi une personnalité que l’on n’avait
pas brisée, un être libre parmi les humiliées.
    Nous avons alors repris notre place dans la masse des
détenues qui allaient et venaient le long du « Mur des Lamentations »
(c’est ainsi que l’avait baptisé Milena) parmi les tourbillons de poussière
soulevés par les galoches de bois. Lorsqu’on rencontre quelqu’un en temps
normal, la façon dont il est vêtu nous apprend quelque chose sur son compte, nous
indique très souvent sa position sociale, même s’il s’agit d’un inconnu.
« Milena de Prague » portait la même robe rayée, flottante et
pendante que moi, le tablier bleu et le fichu réglementaire. Tout ce que je
savais d’elle, c’est qu’elle était une détenue
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