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Milena

Milena

Titel: Milena
Autoren: Margarete Buber-Neumann
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baraque. La vie a perdu tout sens pour moi.
    Lorsque la « colonne des morts » chargea le
cercueil de Milena sur la voiture, je demandai qu’on me laisse l’accompagner. C’était
une journée de printemps, une pluie chaude tombait goutte à goutte, le garde, à
la porte du camp, pouvait croire que c’était la pluie qui ruisselait sur mes
joues. On entendait le chant triste d’un oiseau aquatique dans les roseaux, au
bord du Fürstenberger See. Nous déchargeâmes les caisses contenant les mortes
et les portâmes au crématoire. Deux hommes, des droits communs avec des têtes d’aides-bourreaux,
relevèrent les couvercles ; lorsque nous soulevâmes la dépouille de Milena,
les forces me manquèrent, et l’un d’eux dit d’un ton railleur : « Tu
peux l’empoigner franchement, de toute façon, elle ne sent plus rien ! »
    Comme l’avait prescrit le D r Treite, le corps de
Milena fut exposé dans l’entrée du crématoire. Il avait envoyé un télégramme au
Pr Jesensky pour lui annoncer la mort de sa fille, lui indiquant qu’il pouvait
faire transporter son corps à Prague.
    *
    Le 10 juin 1944, le camp apprit que le débarquement avait eu
lieu en Normandie. Ce fut la liesse parmi les détenues. Mais je ne pouvais
partager leur joie. Je me tourmentais à longueur de journée et pleurais la nuit.
À quoi bon continuer de vivre, si Milena était morte…
    Peu de temps après la mort de Milena – le chaos s’installait
dans le camp et les détenues oscillaient entre la crainte et l’espoir –, Anička
me demanda de venir en un point déterminé du mur où celui-ci jouxtait le camp
des hommes. De nombreuses Tchèques s’y étaient rassemblées, elles commencèrent
à chanter, espérant que leurs compatriotes détenus de l’autre côté du mur les
entendraient et, peut-être, leur répondraient. Elles chantaient l’hymne
national tchèque. Milena avait écrit, à une époque où pesaient les plus lourdes
menaces : « Cet hymne n’est pas un chant qui s’oppose à quelque chose ; Kde domov muj [74] ne souhaite la perte de personne, il souhaite simplement que nous continuions à
exister. Ce n’est pas un chant de combat, c’est simplement un hymne sans pathos
à nos collines et à nos petites montagnes, à nos champs et à nos plaines, à nos
bouleaux et à nos pâturages, à nos tilleuls ombreux, aux haies pleines de
senteurs qui bordent nos champs, à nos petits ruisseaux. Il chante le pays où
nous sommes chez nous… Comme ce fut beau de s’engager pour ce pays, beau d’aimer
sa terre natale [75] … »
    *
    Je retrouvai la liberté et exécutai le testament de Milena, j’écrivis notre livre sur le camp de concentration. Peu avant sa mort, elle m’avait
dit un jour : « Je sais que toi, au moins, tu ne m’oublieras pas. Grâce
à toi, je peux continuer à vivre. Tu diras aux hommes qui j’étais, et auras
pour moi la clémence du juge… » Seules ces paroles m’ont donné le courage
d’écrire cette vie de Milena.

Notes biographiques [76]
    BLEI (Franz) : Animateur de diverses revues (comme le Hyperion de Munich), admirateur de Kafka, découvreur de Musil et de Robert Walser. Traducteur,
auteur de comédies, publiciste à la plume acérée.
    BŘEZINA (Otakar), 1868-1929 : Poète tchèque ;
l’un des plus grands symbolistes européens. De 1895 à 1901, avec cinq recueils
en vers libres et hymniques, il retrace sa quête spirituelle solitaire. Il n’ajoute
que quelques très beaux essais (1903) portant sur sa création, et ne sort plus
de son silence.
    BROCH (Hermann), 1886-1951 : Romancier autrichien
enraciné dans la tradition littéraire allemande, a donné un tableau de la
décadence des valeurs bourgeoises dans l’Allemagne de Guillaume II. Émigre aux
États-Unis après l'Anschluss.
    ČAPEK (Karel), 1890-1938 : L’un des plus grands
écrivains tchèques du XX e siècle, symbole de la République libérale
de Masaryk, son ami. Outre récits, feuilletons de voyages, il publie romans et
pièces dont plusieurs anticipent sur les périls qui menacent l’humanité et la
démocratie, critiquent la déshumanisation par la massification et la
mécanisation de la société industrielle (il est l’inventeur du mot « robot »)
et la menace fasciste. Sa femme, Olga Scheinpflugová, actrice et écrivain, a
laissé de nombreuses pièces et romans tirés de la vie des femmes et un récit de
sa vie avec Čapek, Un roman tchèque.
    EHRENSTEIN (Albert), 1886-1950 : Poète
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