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Métronome

Métronome

Titel: Métronome
Autoren: Lorànt Deutsch
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et d’espoir, vont envahir ses toiles.
    Au printemps 1906, le musée du Louvre organise une exposition des bronzes ibériques des IV e et V e siècles mis au jour en Andalousie. Picasso découvre là tout un pan du passé artistique de sa patrie : il est saisi par le dépouillement des formes, l’expression puissante de ces statues. Apte à assimiler de multiples influences, le peintre va quelques mois plus tard, en novembre, faire une autre découverte capitale… Ce soir-là, Picasso dîne quai Saint-Michel chez Henri Matisse, le maître fauve. On parle art bien sûr, Matisse prend sur un meuble une statuette et la tend à Picasso, c’est un bois nègre, le premier que voit l’Espagnol. Pablo ne dit rien, mais ne lâche la statuette de toute la soirée, ses yeux noirs interrogent le bois sombre et ses doigts glissent sur les formes épurées. Il ressent à nouveau cette émotion esthétique qui l’avait déjà secoué au Louvre devant les antiques ibériques.
    Le lendemain matin, le plancher de son atelier du Bateau-Lavoir est jonché de feuilles de papier. Sur chacune, un grand dessin rageusement tracé au fusain, toujours le même indéfiniment repris : un visage de femme avec un seul œil et un nez interminable terminé en bouche.
    Durant plus de six mois, Picasso va se battre avec son tableau. Les ébauches, les essais, les tâtonnements sont innombrables : l’Art nègre, la statuaire ibérique, le souvenir de Cézanne se mêlent pour faire surgir une œuvre bouleversante, neuve, surprenante.
    En cette année 1907, ses amis montent au Bateau-Lavoir pour voir la toile extravagante et démesurée de Picasso baptisée Les Demoiselles d’Avignon . Devant ces courbes distordues, cette esthétique déformée, ces teintes roses virant au sombre, les spectateurs hochent la tête… Personne ne le sait encore, mais cette toile fait entrer l’art dans le XX e siècle. Pour l’heure, la révolution amorcée ne concerne que les hauteurs de Montmartre, elle va déboucher plus tard jusqu’au théâtre des Champs-Élysées, et de là se répandre dans le monde entier…
Quel fut le sort du Bateau-Lavoir ?

Le 12 mai 1970 vers 14 h 30, le quartier central de la brigade des sapeurs-pompiers était alerté par une avalanche d’appels téléphoniques. Un incendie venait de se déclarer au Bateau-Lavoir…
    Lorsque le nuage de fumée se dissipa, la vaste bicoque n’était plus qu’un tas de cendres fumantes autour d’ossatures calcinées. Le peintre André Patureau, l’un des locataires, abasourdi par la rapidité du drame, répétait en une litanie ces mots désespérés :
    — C’est affreux, j’ai tout perdu… mes toiles, mon travail, toute ma vie… J’étais en train de travailler sur une toile, dans mon atelier du rez-de-chaussée, lorsqu’une épaisse fumée noire a envahi la pièce…
    Cinq ans après l’incendie, le Bateau-Lavoir était reconstruit sans qu’on touche trop à la façade qui n’avait pas souffert. Vingt-cinq ateliers fonctionnels et des appartements élégants remplacent aujourd’hui les logis d’autrefois. Rue Ravignan, une porte constamment verrouillée et un interphone glacial arrêtent le visiteur dans sa quête mélancolique d’un passé où la masure était ouverte aux quatre vents.
    *
    * *
    Retour aux Champs-Élysées. Dès le rond-point franchi, devant l’avenue qui file tout droit vers l’Arc de triomphe, sur le trottoir de gauche, au n o  25, voici l’ancien hôtel de la marquise de Païva, aventurière russe de haut vol. Vous avez devant vous l’un des rares vestiges des Champs sous le second Empire, quartier chic où les restaurants et les allées de verdure attiraient une foule élégante. Au tournant du XX e siècle, descendre les Champs, pour les cavaliers, les calèches, les fiacres, puis les premières automobiles, représentait le summum du luxe et de la distinction !
    Sans doute est-il juste et attendu que ce palais magnifique, achevé en 1865, soit consacré aujourd’hui au monde de la finance. Car en montant plus haut sur les Champs, le promeneur se trouve pris dans un ballet étourdissant d’enseignes, celles des grandes marques brandies tels d’anciens blasons féodaux. Les hommes d’État que nous avons croisés, les artistes que nous avons admirés sont remplacés ici par les financiers. Les puissants d’aujourd’hui ne sont peut-être plus ni à l’Élysée ni au Palais-Bourbon, mais dans cet alignement de boutiques… Les puissants
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