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Métronome

Métronome

Titel: Métronome
Autoren: Lorànt Deutsch
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soir du 28 mai, les derniers insurgés se retranchent dans le cimetière du Père-Lachaise : ils sont exécutés les uns après les autres devant le grand mur du fond. À la fin du mois de mai, l’ordre est définitivement rétabli, au prix de vingt mille morts ! et les rescapés de la Commune sont déportés par trains entiers.

Adolphe Thiers l’a dit : « La République sera conservatrice ou ne sera pas. » Et c’est ainsi que, le 30 janvier 1875, sous la présidence du maréchal de Mac-Mahon, les lois fondamentales de la III e République seront adoptées par l’Assemblée à une voix près : trois cent cinquante-trois contre trois cent cinquante-deux !
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    Pendant ce temps, le théâtre survit à la disparition du boulevard du Crime. À la Porte Saint-Martin, la mode est aux grandes féeries. En cette année 1875, Le Tour du monde en quatre-vingts jours , de Jules Verne et Adolphe d’Ennery, remporte un succès délirant. On s’y précipite pour voir sur les planches un véritable éléphant, des boas articulés, une locomotive en carton-pâte lâchant des panaches de fumée, un navire voguant sur les eaux, une attaque de Peaux-Rouges, une cérémonie religieuse hindoue, des danses javanaises et une multitude de figurants animant des tableaux exotiques.
    D’autres quartiers attirent un nouveau public. À Montmartre, rue Victor Massé, le cabaret du Chat Noir présente dès 1886 un théâtre d’ombres qui fait courir tout Paris…
    L’Éléphant reste pour l’éternité le lever de rideau célèbre et attendu des spectacles du Chat Noir : l’écran blanc s’illumine et un Noir caricatural s’avance, tire une corde, tire, tire et disparaît, la corde s’allonge indéfiniment, un nœud, la corde encore, enfin apparaît un éléphant qui vient déposer ce que le bonimenteur, dans son commentaire, appelle « une perle odoriférante ». Et de cette perle bien particulière germe une fleur qui éclôt sous les yeux des spectateurs. Rideau !
    Devant le succès inattendu de ce théâtre en miniature, un art nouveau émerge, une salle entière est bientôt réservée à cette attraction unique. Henri Rivière, l’inventeur du genre, crée tout un monde de silhouettes et imagine sans cesse de nouvelles méthodes pour animer sa troupe d’ombres. Une soirée au Chat Noir fait alors partie du périple parisien. Rois balkaniques, nobles britanniques, industriels provinciaux sacrifient tour à tour à ce rite et, imparablement, les plus illustres visiteurs demandent à découvrir les coulisses du petit théâtre d’ombres après la représentation. Au grand agacement de Rivière, qui a prévu avec les machinistes une riposte et une vengeance : une prétendue fausse manœuvre lâche des cintres un nuage de poussière qui vient blanchir la redingote de l’indésirable, et un morceau de décor savamment manié vient jeter son couvre-chef dans les balayures… Le plus souvent, l’hôte trop curieux n’insiste pas et bat rapidement en retraite.
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    Quand le boulevard du Crime disparaît sous la pioche des promoteurs au nom du progrès et de la modernité, c’est un autre genre de crime – plus réel – qui émerge aux alentours de la future place de la République. Dès la fin du XIX e siècle, le bal populaire de ce côté-ci devient haut lieu de perdition. On danse dans les bastringues de la République, on s’étourdit dans un quadrille qui donne le feu aux joues des jeunes filles. Un monde étrange, interlope, mêlé, se confond dans la musique charmante qui fait tourner les têtes. On y croise des ouvriers endimanchés, des bourgeois encanaillés, des cocottes épouvantées, des provinciales naïves et des gigolettes délurées.
    C’est ici le royaume de la prostitution clandestine. Affublée de loques crasseuses, vulgaire, éreintée par les allées et venues sur sa portion de trottoir, la pierreuse de boulevard se vend pour quelques francs. Mais attention, le danger guette toujours le « miche » débonnaire : sous les hardes de la fille de joie peut se dissimuler une femme d’Apache. Alors elle dévalisera son client et, s’il fait mine de se défendre, elle lui enfoncera sans hésiter un couteau dans le ventre !

Les Apaches… ainsi appelle-t-on à Paris ces petites frappes braillardes et violentes, escrocs, cambrioleurs ou proxénètes. Avec leur casquette penchée sur le côté, leurs biscoteaux tatoués et leur mégot au coin des lèvres, ils terrorisent le
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