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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera
Autoren: Michel Peyramaure
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n’en croyaient pas leurs yeux, pas plus qu’elles d’ailleurs.
    Soudain elles se précipitèrent sur nous et s’éparpillèrent dans nos groupes en criant des noms. Nous subîmes ces assauts sans chercher à les repousser. Des voix aiguës perçaient mes ouïes pour me demander des nouvelles de tel ou tel prisonnier, sans que je sois capable de donner satisfaction, Cabrera ayant dévoré des milliers des nôtres.
    Nous redoutions une intervention armée du commandant de la forteresse ; il s’en abstint pour ne pas transformer cette manifestation en drame. Il ne daigna même pas faire donner la garde pour s’opposer à notre sortie.
     
    J’avais l’impression, en retrouvant le goût de la liberté sous des acclamations tombant des fenêtres ou montant de la foule délirante qui s’accumulait autour de nous, de revenir d’une campagne glorieuse. Des femmes nous embrassaient, nous jetaient des fleurs, nous offraient de ces délicieuses pâtisseries appelées « pompettes », nous glissaient de l’argent dans la poche. Sur une petite place ombragée de platanes, on avait installé à la hâte des tables débordantes de nourriture, comme si nous souffrions encore de la faim.
    Qui donc, me demandais-je, de ces gens ou de nous, étaient les plus heureux ?
    Les habitants des quartiers populaires que nous traversions – pour aller où ? – firent mieux encore : ils nous offrirent des vêtements, du linge et même des chaussures, dont nous nous affublions en riant comme des gosses. Les soldats que nous étions prirent l’allure d’une troupe d’histrions ou de romanichels.
    Rompant les rangs, si l’on peut dire pour parler de cette cohue, nous nous répandîmes par petits groupes, repus, ivres de vin et de bruit, dans les quartiers du Vieux-Port, y compris dans les rues chaudes où les filles des bordels nous ouvraient bras et jambes gratis. Dans le cabaret où je fis halte, on me servit de la bière. Au moment de régler l’addition, holà ! le cabaretier me toisa de haut.  Peuchère  ! Accepter de l’argent de soldats de l’Empereur eût été humiliant. Sur la place où j’avais fait halte, une bouquetière arrêtait les passants pour recueillir des aumônes à notre intention.
    Dans l’après-midi, alors que nous faisions la sieste sur un banc de jardin public, une patrouille nous ordonna de rejoindre le lazaret au plus vite sous peine de représailles. Dans le groupe qui m’accompagnait, il y eut des protestations et des sarcasmes : nous ne faisions plus partie de l’armée, la plupart des régiments de l’armée impériale ayant été dissous. Notre tenue civile en témoignait.
    Nous passâmes la soirée et la nuit à boire comme des outres, à fumer et à chanter. Je regrettais amèrement que Marguerite ne fût pas de cette fête.
     
    Le lendemain, jour de dispersion.
    Retourner au fort Saint-Nicolas ? Peu d’entre nous, qui ne savaient où diriger leurs pas, y consentirent. L’esprit encore brouillé par le sabbat de la veille, nous étions comme un troupeau de moutons sans berger. Les hommes rôdaillaient d’un quartier à l’autre, s’informant de la porte de la ville qu’ils devaient franchir pour trouver leur route, titubants, la tête vide et le havresac bourré de victuailles.
    Mon intention n’était pas de me soumettre aux ordres de Mouton, qui devait passer par des moments difficiles, en songeant que les représailles, c’était lui qui allait en hériter ! J’étais trop soucieux de prendre au plus tôt la route de Puymège pour accepter de nouvelles épreuves. Être de nouveau enrégimenté, partir peut-être pour la Corse ? Plutôt mourir.
     
    Sur le coup de minuit, alors que j’errais seul dans le Vieux-Port, un jeune homme, fils d’un armateur, m’aborda, m’offrit un cigare et me demanda où je comptais passer la nuit.
    — À la belle étoile s’il le faut, plutôt que de me laisser de nouveau emprisonner.
    — Il y a de la place à la maison. Nous serions heureux, ma famille et moi, de vous héberger.
    J’acceptai son invitation et, après un souper vite expédié en raison de ma fatigue, je m’endormis dans un lit aux draps souples et parfumés à la lavande, qui me changea agréablement de mes grabats.
    Je me levai tard dans la matinée, sans que personne m’eût dérangé. La chambre était joliette, avec des murs tendus d’un papier
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