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Les Poisons de la couronne

Les Poisons de la couronne

Titel: Les Poisons de la couronne
Autoren: Maurice Druon
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Aussi s’empressa-t-il de prononcer un réquisitoire chuchoté, mais féroce,
contre le cardinal Francesco Caëtani, son principal adversaire.
    — Il est plaisant de lui voir
aujourd’hui tant de courage à défendre la mémoire de son oncle le pape
Boniface. Nous ne pouvons oublier que lorsque Nogaret vint à Anagni, avec sa
cavalerie, pour assiéger Boniface, Monseigneur Francesco abandonna ce bien cher
parent, auquel il devait son chapeau, et s’enfuit costumé en valet. Il semble
né pour la félonie comme d’autres pour le sacerdoce, déclara Duèze.
    Ses yeux, animés d’une passion de
vieillard, brillaient au fond d’un visage sec et creusé. À l’en croire, le
Caëtani était capable des pires forfaits ; il y avait du diable chez cet
homme-là…
    — … et le démon, comme
vous savez, peut bien s’introduire partout ; rien ne doit lui être plus
plaisant que de s’asseoir en nos collèges.
    Les deux Colonna, animés d’une haine
ancestrale contre tout ce qui portait nom ou sang des Caëtani, approuvèrent
avec force.
    — Je sais bien, ajouta Duèze,
que le trône de saint Pierre ne doit pas rester indéfiniment vide, et que cela
est mauvais pour l’univers. Mais qu’y puis-je ? Je me suis offert à
recueillir ce fardeau. Si Dieu, en me désignant, veut élever son plus humble
serviteur à la place la plus haute, je suis soumis à la volonté de Dieu. Que
puis-je faire de plus, messire comte ?
    Après quoi, il remit en présent de
noces, à Donna Clemenza, un exemplaire richement enluminé de la première partie
de son Élixir, traité de science hermétique dont il était douteux que la jeune
princesse pût comprendre la moindre ligne.
    Puis il s’en alla, rapide et
sautillant, suivi de ses prélats, diacres et camériers. Il menait déjà train de
pape et, jusqu’à la limite de ses forces, empêcherait tout autre que lui d’être
élu.
    Le lendemain, tandis que la
chevauchée princière avançait sur la route de Valence, Clémence de Hongrie demanda
soudain à Bouville :
    — De quoi est morte Madame
Marguerite de Bourgogne ?
    — Des rigueurs de la prison,
Madame, et du chagrin de ses fautes, sans aucun doute.
    — Que voulait dire le cardinal,
en parlant de cette main ferme qui aurait aidé la Providence ?
    Hugues de Bouville se troubla un
peu. Il se refusait pour sa part à accorder aucun crédit aux bruits qui
circulaient concernant le décès de Marguerite.
    — Le cardinal est un étrange
homme, dit-il. On croirait toujours qu’il s’exprime par énigme latine. Sans
doute est-ce d’avoir tant étudié. J’avoue que je ne parviens pas à suivre tous
les détours de son esprit. Je pense qu’il voulait dire que la geôle est régime
sévère, si le geôlier est ponctuel, et qui peut suffire à abréger les jours
d’une femme…
    Une recrudescence de la pluie vint à
propos le tirer d’affaire. On dut fermer les rideaux de cuir de la litière.
    Allongée sur les coussins, balancée
au pas des mules et enfermée dans ce bruit d’eau, crépitant, inlassable,
Clémence de Hongrie pensait à Marguerite.
    « Ainsi, le bonheur qui m’est
promis, se disait-elle, je le dois à la mort d’une autre. » Elle se
sentait inexplicablement liée à cette inconnue, à cette reine qu’elle allait
remplacer et dont les fautes autant que le châtiment lui inspiraient effroi et
pitié.
    « Ses péchés ont causé son
trépas, et son trépas me fait reine. » Elle y voyait comme une
condamnation portée sur elle-même, et tout lui paraissait présage de malheur.
La tempête, la blessure de Guccio, et ces pluies qui tournaient à la calamité…
autant de signes néfastes.
    Les villages traversés offraient un
aspect désolé. Après un hiver de famine, alors que les récoltes s’annonçaient
belles et que les paysans commençaient à reprendre courage, les intempéries en
quelques jours avaient balayé tous les espoirs. L’eau, intarissable,
pourrissait tout.
    La Durance, la Drôme, l’Isère
étaient en crue, et le Rhône qu’on longeait avait pris en grossissant une force
dangereuse. Parfois, il fallait écarter de la route un arbre abattu par la
tempête.
    Le contraste était pénible, pour
Clémence, entre la Campanie au ciel toujours bleu, aux vergers chargés de
fruits d’or, et cette vallée ravagée, ces bourgades sinistres, à demi
dépeuplées par la faim.
    « Et plus au nord, ce sera pire
encore. Je vais dans un pays dur. »
    Elle eût voulu soulager
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