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Les Poisons de la couronne

Les Poisons de la couronne

Titel: Les Poisons de la couronne
Autoren: Maurice Druon
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princesse ruisselait
aux quatre coins comme gargouilles d’église. Les garde-robes si chèrement
reconstituées, les beaux vêtements neufs allaient-ils être déjà gâchés, les
coffres percés par la pluie, et les selles brodées des chevaliers napolitains
perdues, avant même que d’avoir ébloui les populations de France ?
    À peine la troupe installée dans la
ville papale, le cardinal Duèze, évêque d’Avignon, suivi de tout un clergé,
vint saluer Madame Clémence de Hongrie. Visite de politique. Candidat officiel
de la maison d’Anjou à l’élection pontificale, Jacques Duèze connaissait bien
Donna Clemenza pour l’avoir vue grandir, alors qu’il était chancelier de la
cour de Naples. Que Clémence épousât le roi de France arrangeait assez ses
affaires, et il comptait un peu sur ce mariage pour gagner les voix qui lui
manquaient parmi les cardinaux français.
    Léger comme un daguet, en dépit de
ses soixante-dix ans, Monseigneur Duèze gravit l’escalier, forçant ses diacres
et camériers à courir derrière lui. Il était accompagné des deux cardinaux
Colonna, provisoirement dévoués aux intérêts de Naples.
    Pour recevoir toute cette pourpre,
messire de Bouville secoua sa fatigue et retrouva sa dignité d’ambassadeur.
    — Je vois, Monseigneur, dit-il
au cardinal Duèze en le traitant comme une vieille connaissance, je vois qu’il
est plus aisé de vous atteindre lorsqu’on escorte la nièce du roi de Naples que
lorsqu’on vient à vous d’ordre du roi de France, et qu’il n’est plus nécessaire
de battre les champs à votre recherche, comme vous m’y forçâtes l’hiver passé.
    Bouville pouvait se permettre ce ton
d’humour ; le cardinal avait coûté cinq mille livres au Trésor de France.
    — C’est que, messire comte,
répondit le cardinal, le roi Robert m’a toujours fait l’honneur, avec grande
persévérance, de sa pieuse confiance ; et l’union de sa nièce, dont je
sais la haute réputation de vertu, avec le trône de France exauce mes prières.
    Bouville reconnaissait cette étrange
voix, à la fois ardente et brisée, étouffée, feutrée de timbre mais rapide de
rythme, qui l’avait tant frappé lors de la première rencontre avec le cardinal.
Celui-ci, répondant à Bouville, parlait surtout pour la princesse, vers
laquelle il se tournait sans cesse. Il poursuivit :
    — Et puis, messire comte, les
choses ont assez changé, et l’on n’aperçoit plus derrière ce qui vient de
France l’ombre de Monseigneur de Marigny qui avait le pouvoir bien long, et qui
ne nous était guère favorable. Est-il vrai qu’il se soit montré si infidèle
dans ses comptes que votre jeune roi, dont on connaît pourtant la charité
d’âme, n’ait pu le sauver d’un juste châtiment ?
    — Vous savez que messire de
Marigny était mon ami, répliqua Bouville avec courage. Je pense que ses commis,
plutôt que lui-même, ont été infidèles. Il m’a été dur de voir un si vieux
compagnon se perdre par entêtement d’orgueil à vouloir tout régenter. Je
l’avais averti…
    Mais Monseigneur Duèze n’était pas
au bout de ses courtoises perfidies. Toujours s’adressant à Bouville, mais
toujours regardant Clémence de Hongrie, il reprit :
    — Vous voyez qu’il n’était
point nécessaire de tant s’inquiéter de cette annulation, dont vous étiez venu
m’entretenir, pour votre maître. La Providence pourvoit souvent à nos souhaits…
pour peu qu’on l’aide d’une main un peu ferme…
    Des yeux et du visage, il semblait
ajouter, à l’intention de la princesse : « Je fais en sorte de vous
prévenir. Sachez à qui l’on vous marie. Si quelque chose vous trouble, à la
cour de France, adressez-vous à moi. » Les hommes d’Église, même
lorsqu’ils parlent beaucoup, doivent être entendus à demi-mot.
    Bouville se hâta de changer de
sujet, et d’interroger le prélat sur l’état du conclave.
    — Toujours le même, dit Duèze,
c’est-à-dire qu’il n’y a pas de conclave. Les intrigues sont plus nombreuses
que jamais, et si finement ourdies qu’on n’en saurait débrouiller l’écheveau.
Le camerlingue emploie tous ses efforts à bien prouver qu’il ne peut nous
rassembler. Nous continuons d’être dispersés, les uns à Carpentras, d’autres à
Orange, nous-mêmes ici… Caëtani à Vienne…
    Duèze savait que les voyageurs
devaient faire arrêt à Vienne, chez une sœur de Clémence, mariée au dauphin de
Viennois [6]
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