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Les Médecins Maudits

Les Médecins Maudits

Titel: Les Médecins Maudits
Autoren: Christian Bernadac
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sur la cabine métallique. Rascher leva les yeux de son calepin.
    —  Vous fermerez l’allée avec des planches.
    Il est impossible de travailler dans ces courants d’air.
    Neff, pieds et mains gelés, sentit une goutte de sueur perler entre ses deux yeux. Il pensa :
    —  Comme ça, nous serons encore plus isolés. Après ils me tueront. Ils ne vont pas supporter que l’on ait vu « ça ». On pourrait raconter…
    Rascher hurla :
    —  Ça y est 47 200 pieds ! Faites-lui enlever le masque.
    Ce 22 février 1942, par la volonté d’un petit médecin grassouillet SS, capitaine de réserve de l’Armée de l’Air, commençait, dans le camp de déportation de Dachau la première grande série d’expériences humaines de l’histoire du III e Reich. Rascher avait gagné : ilserait bientôt professeur d’université. Les balles de la guerre siffleraient leur bonsoir bien loin de ses oreilles. D’ailleurs il faudrait qu’il en parle à son « ami » Himmler : en aucun cas les savants ne devraient risquer leur vie sur les fronts… Le docteur Romberg interrompit sa rêverie.
    —  Voilà ! il ôte son masque.
    La chambre à basse pression avait été prêtée à Rascher par le docteur Siegfried Ruff, le jeune directeur du Centre Expérimental Aéronautique. Il s’agissait d’un grand caisson vertical, habillé de tuyauteries, de leviers de commande, de hublots. À deux mètres du sol, une « barre fixe » supportait un harnais de parachutiste, une cloche à vaches et une ardoise d’écolier. Des manettes et volants extérieurs permettaient à l’expérimentateur de régler la pression atmosphérique du caisson. À la limite,les docteurs Rascher et Romberg pourraient simuler des vols à 22 000 mètres. Aujourd’hui les cadrans indiquaient 15 000 mètres (42 700 pieds).
    Le pantin à pyjama rayé, noué dans ses sangles, hésitait. Sa main accrochée au masque à oxygène se crispa. Neff songeait.
    —  S’il ne l’arrache pas, Rascher va lui faire passer un sacré quart d’heure.
    Enfin le cobaye se décida. Le groin de cuir glissa et se balança lentement au bout du tuyau d’arrivée. Les yeux du déporté se révulsèrent. Comme dans un jeu de massacre la tête, bouche béante, narines dilatées, se rejeta. Rascher notait :
    —  Symptômes graves du mal des aviateurs, convulsions spasmodiques.
    Neff aurait marqué :
    —  Une véritable marionnette dont on tire toutes les ficelles à la fois.
    Millimètre par millimètre Rascher tournait le volant de commande générale. L’aiguille du chronomètre indiquait trente secondes, l’altimètre : quatorze kilomètres et demi. Violemment, le corps du faux parachutiste s’arc-bouta, jambes et bras unis. Un croissant posé verticalement. Le carnet noir s’enrichit d’un bref griffonnage :
    —  Opisthotonos iv .
    Romberg soudain découvrit l’inutilité de l’expérience. Jamais, non jamais, un aviateur quittant un appareil touché à de telles altitudes n’ouvrirait tout de suite son parachute ; il commencerait sa descente en chute libre. On ne saute pas en « automatique » de 15 000 mètres, mais en « commandé ». Au même instant Romberg découvrit une autre inutilité : celle de ses appréhensions. Le SS Rascher, protégé d’Himmler, pouvait tout se permettre. Lui, Romberg, détaché par l’Institut Officiel d’Expérimentations Aériennes n’était là que pour cautionner les recherches de Rascher alors que l’Institut croyait que Romberg dirigeait… Il s’approcha du hublot. Rascher inscrivait :

—  14,3 kilomètres. Bras tendus raides en avant ; cherche à s’asseoir comme un chien, les jambes écartées maintenues raides.
    Les extrémités s’agitaient, le visage tour à tour blême et rougeaud n’était plus qu’une bouche haletante, avide d’oxygène. L’irrégularité, l’accélération et l’amplitude des mouvements respiratoires, l’incoordination de tous les gestes, leur brusquerie, les convulsions d’agonie, les yeux surtout, des yeux vides, morts, éteints, faisaient songer à un poisson que le pêcheur dépose dans l’herbe et qui désespérément se tortille, se tire-bouchonne, branchies folles, queue frétillante.
    Arrivé à six kilomètres, l’homme grogne en bavant ; ses muscles se détendent quelques secondes avant de se contracter à nouveau. Relâchement, contraction, relâchement… les grognements rauques s’aiguisent, s’effilochent, ronronnent, basculent dans
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