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Les hommes dans la prison

Les hommes dans la prison

Titel: Les hommes dans la prison
Autoren: Victor Serge
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son sang.
Chacun se débrouille. À chacun, une occasion s’offre, qui lui permet de respirer un peu. Lui, non ! Rien ! Il est l’homme condamné aux
travaux forcés à perpétuité, d’où on ne le tire que pour l’envoyer à la mort.
    Qui veut penser à cet animal humain ? Qui, – contemporain
libre et bien nourri, – veut considérer son existence comme une honte ? Sont-ils,
tous, morts, les hommes de foi ? N’y a-t-il plus que foi-littérature ?
foi-commerce ? Cet homme-animal n’est-il plus bon que pour décrire, peindre
ou sculpter ?
    Voilà toute la question.
    «  Je devais me libérer de cette dette, accomplir
cette tâche avant toute autre. Quand, dans une maison de force, je résistais à
la tuberculose, au détraquement, au cafard, à la misère morale des
hommes, à la férocité des règlements, je voyais déjà une sorte de justification
de ce voyage infernal, dans la possibilité de le décrire. Parmi les milliers de
misérables broyés par la prison, – une prison que peu connaissent ! – j’étais
sans doute le seul qui pût tenter un jour de tout dire. Il en résultait pour
moi un lourd devoir. Je ne pouvais pas écrire autre chose avant d’avoir rempli
ce devoir. J’en étais oppressé.
    «  Telle est pour moi la raison d’être de ce roman. Je
souligne que c’est un roman, car l’emploi commode de la première personne du
singulier pourrait prêter à malentendu. Je ne veux pas écrire de mémoires. Il
ne s’agit pas de moi, il s’agit des hommes. Je ne veux même pas serrer de trop
près les choses vues. J’entends être plus libre que cela, pour atteindre par la
création à une vérité plus générale et plus riche que celle des choses
observées au sens strict du mot. Il arrive que cette vérité coïncide presque
photographiquement avec certaines choses vues ; il arrive qu’elle en
diffère du tout au tout.
    «  Il n’y a pas de héros de roman dans ce roman, à
moins que la terrible machine, la prison, n’en soit le véritable héros. Il
s’agit non de «  moi  », non de quelques-uns, mais des
hommes, de tous les hommes écrasés dans ce coin noir de la société. Il me
semble, en effet, que le temps vient d’une littérature qui découvre enfin les
masses, le lien entre l’individu et ses semblables et ne posera plus les
problèmes de la destinée individuelle qu’en fonction de la destinée de tous. »
    Ainsi pense l’ écrivain Victor Serge, qui
éprouve sa destinée individuelle à la destinée de tous. Ce n’est pas seulement
parce qu’il a fait cinq ans de réclusion (quinze mois de cellule, quarante-cinq
mois de travail forcé), mais aussi parce qu’il est de la race des hommes qui
ne peuvent vivre qu’au milieu d’une humanité libre.
    Amis de l’homme écrasé dans les coins noirs de la société,
unissez-vous à ceux qui combattent pour une humanité libre !
    Mars 1930 .
    PANAIT ISTRATI.

1. Arrestation.
    Tous les hommes qui ont vraiment connu la prison savent qu’elle
peut étendre son accablante emprise bien au-delà de ses murailles matérielles. Il
est une minute où ceux dont elle doit broyer la vie sentent avec une terrible
précision disparaître tout présent, toute réalité, toute activité – tout ce qui
est leur vie réelle – tandis que s’ouvre un nouveau chemin où l’on entre en
trébuchant d’anxiété. Cette minute glaciale est celle de l’arrestation.
    Le révolutionnaire guetté par le bagne ou par la potence, qui,
dans une rue animée, se sent soudainement épié ; – le militant illégal qui,
rentrant le soir, sa tâche d’organisateur ou de journaliste faite, a tout à
coup l’impression qu’une ombre s’attache à son ombre, qu’un pas décidé répète
le sien ; – l’assassin, le voleur, le réfractaire, l’homme traqué quel qu’il
soit connaissent bien l’émoi de cette minute, presque aussi amère d’être
pressentie que d’être vécue, indépendamment de leur courage et de leur volonté.
La différence entre les lâches et les autres c’est que les autres, la minute
passée sans qu’un geste en ait décelé l’émoi, retrouvent la pleine possession d’eux-mêmes.
Les lâches restent brisés.
    J’ai vécu plusieurs fois cette minute. Ce fut, une fois, après
cinq ou six heures d’arrestation formelle. Un agent en civil était venu me
chercher à la rédaction du journal anarchiste que je dirigeais. Il s’agissait, disait-il,
de signer les bordereaux des pièces saisies, le
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