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Les hommes dans la prison

Les hommes dans la prison

Titel: Les hommes dans la prison
Autoren: Victor Serge
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toujours convaincantes. Les hommes
ne le sont que bien rarement. Or, notre époque, – celle qui n’a pas de parole, celle
qui produit et ne profite de rien, – veut, pour accomplir sa destinée, plus d’hommes que d’œuvres, ou, plus exactement, des hommes qui
représentent leur œuvre propre.
    Victor Serge est un de ces hommes rares.
    Il vit en Russie, à Leningrad. C’est là que je l’ai connu,
lors des fêtes du dixième anniversaire de la Révolution. En ces jours de joie
débordante, en partie sincère et en partie commandée, il m’est apparu comme un
symbole de la stricte vérité révolutionnaire.
    Il nous était facile, et d’ignorer cette vérité, et d’aimer
à l’ignorer, car on est dupe bien plus par faiblesse que par bêtise. La mise
en scène, la démagogie, la mauvaise foi, la fraternelle cruauté même se
trahissaient d’une manière assez évidente. Mais on était si aimable avec nous !
Comment ne pas fermer les yeux et se taire, en se disant : «  Bah,
ça passera ! On ne fait pas d’omelettes… » , etc.
    C’est ainsi que l’on s’enlise dans l’erreur.
    Mais cette pente, favorable aux fêtards, avait son autre
versant qui menait droit au pessimisme : c’était l’erreur de ceux qui
criaient à tout bout de champ : «  La Révolution est perdue ! »
    Combattant, avec la même énergie, l’une et l’autre
tendance, Victor Serge rétablissait l’équilibre sans jamais se départir de son
calme voulu, ni oublier les ménagements qu’on doit à tout camarade sincère. Il
aime et estime les hommes, ceux qui souffrent et luttent. Pour lui, ce sont eux
qui forment la charpente de l’œuvre à bâtir. Ce ne sont pas les institutions
qui font les hommes, ce sont les hommes qui font les institutions.
    Là est tout Victor Serge, le révolté. Je n’en conçois pas
de plus ferme, ni de plus humain.
    Certes, aux premières heures de sa collaboration à l’œuvre
soviétique, il a pu commettre des fautes politiques ou tactiques. Il les paie
depuis de longues années. Sa vie d’aujourd’hui, – une des millions de vies qu’étouffent
le dogmatisme et la démagogie du pouvoir, – est un exemple de probité
révolutionnaire et de confiance en l’avenir du socialisme. Victor Serge est le
modèle du communiste-opposant loyal. Ce que cela coûte de souffrances, de
privations matérielles et morales, inutile d’en donner ici l’image fugitive. C’est
l’histoire, à écrire, de toute l’opposition communiste russe, depuis l’avènement
de la tyrannie rouge sur la sixième partie de la terre. Elle atteint parfois
les dimensions de l’épopée, embrassant la tragédie de tout un peuple broyé dans
les engrenages d’une doctrine faussée.
    J’avoue qu’aujourd’hui je n’ai plus d’estime ni d’amitié
que pour les hommes qui, tel Victor Serge, sacrifient leur vie et celles de
leurs proches à cette œuvre de redressement révolutionnaire dont dépend l’avenir
du monde qui peine. Bons pères et bons époux, pour la plupart, ils auraient eux
aussi le droit d’être circonspects, prudents, à l’exemple de toutes ces fameuses «  consciences  » qui ont une famille à nourrir. On le
leur pardonnerait d’autant plus facilement qu’ils se disent matérialistes.
    Je témoigne de leur bel idéalisme. Je connais leur visage.
Je les ai vus coincés entre l’amour paternel et le devoir social. Il ne m’est
plus possible de les oublier. Épouser leur cause, partager leur souffrance
morale, les soutenir par tous les moyens, collaborer avec eux à la victoire de
l’homme sur la brute ou périr en chemin, voilà la vie qui me passionne depuis
toujours mais bien plus depuis que je connais l’exemple de leur sacrifice.
    Tout le reste n’est que fatras «  littéraire  », hypocrisie, égoïsme.
    Le temps est aujourd’hui aux problèmes de l’oppression et
de la faim. Je croyais, en venant aux lettres, que ma révolte était celle de
tous les «  esprits avancés  », et que nous serions
nombreux à vouloir résoudre ce problème. Littérature !
    L’homme qui peine est seul au monde. Il trime pour
assurer le bien-être à ses bourreaux autant qu’aux «  esprits
avancés  ». Et il arrive qu’il se crève aussi pour entretenir des
parasites qui se proclament ses frères, qui dictent en son nom et le font marcher. Ainsi, d’un bout à l’autre de la terre, toutes les catégories
sociales se coalisent pour river cet homme à sa peine et pour vivre de
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