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Les Dames du Graal

Les Dames du Graal

Titel: Les Dames du Graal
Autoren: Jean Markale
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s’agit bien de services : l’amant de la reine est aux ordres de celle-ci et doit lui obéir aveuglément. À cet égard, le récit du Chevalier de la Charrette est exemplaire. Lancelot a hésité une fraction de seconde avant de monter sur la charrette d’infamie qui lui ouvrait le chemin vers la prison de Guenièvre, et celle-ci lui reprochera avec véhémence cette hésitation comme un manquement au service d’amour . De même, dans le tournoi du royaume de Gorre, la reine obligera Lancelot à combattre honteusement avant de l’autoriser à être vainqueur. Enfin, ayant permis à son amant de la rejoindre dans sa chambre, elle le force à tordre les barreaux de la fenêtre et à se blesser affreusement avant de l’accueillir dans son lit. Il est vrai que la seule vue du visage de Guenièvre permet à Lancelot d’oublier ses fatigues et ses souffrances, et de donner la pleine mesure de sa valeur.
    Et cela, Lancelot l’avoue. Dans un des épisodes de la Quête , après avoir subi une série d’humiliations, il se confesse à un ermite : « Seigneur, dit-il, je suis en état de péché mortel à cause d’une femme que j’aime depuis toujours. Je vais t’avouer qui elle est : il s’agit de la reine Guenièvre, l’épouse du roi Arthur de Bretagne… C’est grâce à elle que j’ai connu la magnificence avant de connaître les pires humiliations. C’est pour elle que j’ai accompli les grandes prouesses dont parle le monde entier. C’est elle qui m’a fait passer d’indigence à richesse et d’infortune au suprême bonheur terrestre {54} . » Cette confession en dit long sur la quête qu’accomplit Lancelot : en réalité, ce n’est pas le Graal qu’il recherche, mais Guenièvre, visage rayonnant sous lequel apparaît la féminité toute-puissante.
    La période où Chrétien de Troyes écrit son Chevalier de la Charrette , est celle du triomphe de ce qu’on appelle couramment l’ Amour courtois , expression à laquelle il serait préférable de substituer celle, occitane, de fin’amor . Illustrée par de nombreux textes et codifiée dans son Art d’Aimer par un certain André Le Chapelain, cette fin’amor propose au chevalier un serment d’allégeance parallèle à celui du vassal envers son seigneur, c’est-à-dire un engagement total pour sa Dame (du latin Domina , « maîtresse »), généralement l’épouse dudit seigneur. Cette relation privilégiée, et exclusive, est évidemment adultère, mais des règles précises viennent en limiter la portée et la gravité : tout est permis dans cette relation très particulière, y compris les attouchements, mais non pas le coït, celui-ci risquant, dans un cadre patriarcal, de fausser la lignée masculine {55} . On se doute bien que, dans le cycle du Graal, cet interdit majeur n’est guère respecté, pas plus par Lancelot et Guenièvre que par Tristan et Yseult. Cependant, en apparence, les aventures sentimentales qui y sont racontées baignent dans l’atmosphère de la fin’amor tant chantée et exaltée par les troubadours occitans. Mais c’est parce qu’il s’agit de figurations archétypales surgies de la nuit des temps et qui sont exprimées dans le langage et les usages de l’époque dite courtoise.
    Pourtant, le couple que forment Guenièvre et Lancelot, et qui donne sa force et son équilibre à la société arthurienne – du fait que Lancelot, obéissant aveuglément à la reine, se montre le plus fidèle serviteur de la communauté qu’elle représente –, est un couple marginal dont la survivance et la nature même ont besoin d’ombre et de silence. L’amour qui unit l’un et l’autre doit rester secret. C’est-à-dire refoulé dans l’inconscient . « La féodalité courtoise, une société de maîtres, a paré la Dame des attributs de la toute-puissance : à travers Elle, l’unique maîtresse, l’homme, suivant le leurre de son désir, entrevoyait un autre rivage qui ne fût pas celui de sa mort, mais où il se découvrît mortel, terre inconnue où existât une femme {56} . »
    Lancelot, au cours de ses multiples et interminables aventures, n’arrête pas de vaincre la mort. De combat en combat, de rencontre en rencontre, parfois même au prix des plus grandes souffrances, il est l’éternel Orphée qui ramène le fantôme d’Eurydice à peine émergée des marécages de l’Autre Monde. Mais est-on certain que c’est lui qui ramène Eurydice ? Ne serait-ce pas plutôt le fantôme
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