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Les chevaliers du royaume

Les chevaliers du royaume

Titel: Les chevaliers du royaume
Autoren: David Camus
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prolongeait à plaisir, cherchant à la fois à satisfaire ses émirs, gens cruels pour la plupart, et à faire comprendre aux infidèles que cette fois c’était la fin.
    À l’exception de Châtillon, les Francs jetaient des regards de tous côtés, cherchant dans l’entourage de Saladin une raison d’espérer, un indice, un espoir. Mais les Mahométans restaient de marbre. Quant au plus fidèle serviteur de Saladin, le chroniqueur Abu Shama – et qui, parce qu’il aimait les langues et en connaissait plusieurs, faisait office de traducteur –, il gardait la tête baissée. Lui d’ordinaire si loquace, bavard comme un perroquet, ne quittait pas des yeux les motifs entrelacés de ses babouches.
    Quand il en eut assez, ayant suffisamment savouré sa victoire, Saladin frappa dans ses mains. Du fond de la tente, une dizaine de serviteurs approchèrent. Le premier tenait avec solennité un vase de cristal décoré de sourates du Coran, contenant un liquide clair, le deuxième une paire de chandeliers, trois autres des plats décorés, chargés de dattes, de pistaches, d’amandes et de noix, de raisins secs et de figues ; les derniers, enfin, apportèrent des instruments de musique, et commencèrent à jouer. Un joueur d’oud – une sorte de luth – accompagnait une paire de tambours, tandis qu’un quatrième musicien tirait d’un arghul des accents joyeux.
    — Mangez, dit Saladin à ses hôtes en les invitant à prendre place sur les coussins qui jonchaient le sol de sa tente, recouvert de kilims.
    Une magnifique jeune femme sortit de derrière un paravent et se mit à danser. Elle avait des gestes envoûtants, qui captivaient l’assistance et l’aidaient à se détendre. Parfois, elle s’amusait d’un foulard qu’elle passait devant ses yeux, et charmait du regard, un à un, les hommes présents. Ses petits pieds nus, décorés de fils d’or, étaient fascinants de grâce et de légèreté. Était-ce une houri, descendue de son nuage ? se demanda le vieux marquis de Montferrat, qui l’observait bouche bée. En tout cas, c’était la plus ensorcelante des femmes, d’autant plus étonnante que sa peau était blanche, comme celle des Occidentales. Sans la quitter des yeux, Saladin trempa ses lèvres dans le vase de cristal – rempli d’eau de rose rafraîchie par les neiges de l’Hermon –, puis le passa à Guy de Lusignan.
    — C’est une noble coutume chez nous qu’un captif ait la vie sauve s’il a bu et mangé avec son vainqueur, dit Saladin. Buvez autant que vous voulez, je sais que vous avez soif.
    Il avait à peine fini de parler que le roi de Jérusalem, après s’être désaltéré, tendit la coupe de paix à Châtillon, qui la vida à grands traits.
    Châtillon trouva l’eau aussi rafraîchissante que si un chant d’oiseau naissait dans sa poitrine. Il se sentait revivre, au fur et à mesure que l’eau coulait dans sa gorge et revigorait ses membres. Son regard s’illuminait d’une lumière nouvelle, quand il croisa celui de Saladin.
    Le sultan l’observait en tremblant, contenant à grand-peine sa colère, serrant les poings et le fixant de ses yeux brillants d’où avait disparu toute trace de mansuétude.
    Ne sachant pourquoi il l’avait offusqué, mais ravi de l’avoir fait, Châtillon sourit à Saladin. Alors celui-ci se leva brusquement et déclara, en montrant du doigt Châtillon :
    — Dites à cet homme que ce n’est pas moi qui lui ai donné à boire, mais Guy de Lusignan, roi de Jérusalem.
    Il avait parlé si violemment que les musiciens s’arrêtèrent de jouer. Les panthères cessèrent de ronger les os qu’on leur avait jetés et levèrent la tête. Quant à la jeune danseuse, elle referma les bras sur son corps et recula dans l’ombre de la tente, où elle disparut.
    L’inquiétude gagna de nouveau les Francs. Ils ne comprenaient pas la réaction de Saladin. Ils s’étaient crus sauvés, et voilà que le chef de leurs ennemis s’emportait parce que l’un des leurs avait bu à la coupe de paix. Le vieux marquis de Montferrat, qui connaissait quelques mots d’arabe, s’approcha d’Abu Shama et lui demanda d’une voix pleine d’appréhension :
    — Peux-tu me dire ce qui se passe ?
    — Cet homme est un démon, répondit Abu Shama en regardant Renaud de Châtillon. Saladin (le salut soit sur lui) s’est juré de le faire payer pour ses crimes.
    En effet, tous savaient à quel point Brins Arnat avait été haïssable. Il s’était
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