Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'épervier de feu

L'épervier de feu

Titel: L'épervier de feu
Autoren: Pierre Naudin
Vom Netzwerk:
chemin, les bêlements et meuglements d’un troupeau invisible les firent s’arrêter.
    — Est-ce une illusion ? dit Étienne.
    Se hissant sur ses étriers pour dominer la haie qui lui bouchait la vue, il demeura un long moment dans une espèce de contemplation béate et dit, en se rasseyant :
    — Quatre vaches et six bœufs gros à souhait ; quinze moutons derrière cette orière [103] … Des hommes assemblés… Sens-tu ce que je sens ?
    — Une odeur de rôti.
    — Ces gars font bombance… Allons voir !
    Ils quittèrent leur selle et marchèrent dans l’herbe afin d’étouffer le bruit des sabots. Ils trouvèrent la brèche par laquelle on accédait au champ. Ils y entrèrent lentement, laissant les chevaux libres de leurs mouvements.
    — Le bonjour, dit Étienne en enlevant son bassinet. Ogier, si j’en crois ma vue, voilà les premiers hommes heureux que nous rencontrons depuis plus de cent lieues !
    Ils étaient une douzaine, accroupetonnés autour d’un feu et d’un mouton embroché. L’apparition de deux seigneurs armés n’en fit lever aucun, et seules quatre ou cinq mains se portèrent sur des houlettes auxquelles étaient assujettis soit un fer de vouge, soit un épieu.
    — Nous ne vous voulons aucun mal, dit Ogier en s’immobilisant.
    — Êtes-vous seuls ? demanda un vieillard vêtu de peau de daim, à demi enveloppé dans une cloche [104] de velours noir, boueux, doublé d’écureuil.
    — Nous sommes seuls.
    Étienne tapota l’escarcelle suspendue à sa ceinture d’armes :
    — Je suis prêt à vous donner quelques pièces en échange de quatre ou cinq tranches de cette épaule divinement dorée…
    Les hommes s’étaient levés. Ils faisaient front sans nulle malveillance. Tous étaient couverts de houppelandes fourrées de mouton.
    — Qui êtes-vous messires ? demanda le vieillard.
    — Deux chevaliers qui s’en vont à Coutances. Et vous ?
    — Nous sommes les bouviers d’Olivier de Sarceaux.
    — Nous allons en France, messires, dit un jouvenceau à l’allure effrontée.
    — En France ? s’exclama Étienne en se détournant. N’y sont-ils pas ?
    — Si tu étais Normand, répondit Ogier, tu dirais, toi aussi, que tu t’en vas en France.
    L’Ancien se leva. Dans son regard voilé par l’âge et la fatigue, quelque chose passa, qui pouvait être l’expression d’un orgueil mal dompté.
    — Notre maître, Olivier de Sarceaux, n’a pas voulu quitter sa demeure par crainte de la peste [105] . Nous devons vendre ses bêtes au meilleur prix au-delà de la Normandie. La famine qui sévit sera d’un bon rapport… Et nous sommes nombreux pour défendre notre troupeau… et nous défendre nous-mêmes.
    Les hommes acquiescèrent. Ceux qui avaient empoigné leur houlette en semblaient embarrassés. Cependant, Ogier se méfiait des jugements précoces : par ces temps d’abusions de toute espèce, un mouton – justement – des plus innocents pouvait devenir enragé.
    — Nous avons décidé d’éviter les marchés pour ne point acquitter le tonlieu [106] . Nous irons s’il le faut jusqu’à Vire, Alençon…
    — Point de tonlieu, certes, dit Ogier, mais des lieues et des lieues de chemins incertains. Quand vous serez rendus, vous aurez dévoré vos moutons !
    — Si l’occasion se présente, nous les vendrons avant. Qu’un tonloier [107] ou non nous en offre un bon prix, il aura le troupeau et nous repartirons.
    Étienne désigna le mouton sacrifié, léché de hautes flammes claires :
    — Acceptez-vous de nous conjouir parmi vous ?
    — De bonne grâce, dit le vieillard.
    — Je vois, dit l’Effronté, que les chevaux ne vous font point défaut.
    Il cherchait à se faire valoir auprès des siens sans pourtant parvenir à les intéresser. Accommodant et facile à vivre, le vieillard, d’un geste l’invita à modérer son ardeur, tandis qu’Étienne révélait :
    — Nous étions quatre ; la morille nous en a pris deux il y a quinze jours, de sorte que nous sommes sains et que cette santé gonfle mon appétit.
    Désireux de prouver ses bonnes intentions, il marcha vers les chevaux, planta son épée au sol et lia les rênes de Carbonel à sa prise ; Ogier en fit autant pour son Noiraud, regrettant de ne pouvoir surprendre les regards ou les gestes des bouviers. Restaient à attacher le Bucéphale et la jument de Rosamonde.
    — Apporte deux houlettes, dit-il au jouvenceau. Les fers en terre, elles
Vom Netzwerk:

Weitere Kostenlose Bücher