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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain
Autoren: Amin Maalouf
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l’homme ne devait plus s’approcher de l’une
ni de l’autre de ses femmes de peur de nuire aux fœtus ou de provoquer des
accouchements prématurés. Même enveloppé de précautions et entrecoupé de
longues hésitations, le message était suffisamment effronté pour que mon père s’enflammât
en un instant comme une bûche trop sèche, et se lançât dans des invectives à
peine intelligibles où revenaient, comme des coups de pilon au creux d’un
mortier, « balivernes », « sorcières »,
« Ibliss-le-Malin », ainsi que des propos peu élogieux sur la
médecine, les juifs et le cerveau des femmes. Salma pensa qu’il l’aurait battue
si elle n’était enceinte, mais elle se dit aussi que, dans ce cas-là, la
dispute n’aurait sans doute pas eu lieu. Pour se consoler, elle conclut
sagement que les avantages de la maternité outrepassaient ses inconvénients
passagers.
    En guise de sanction, Mohamed lui interdit
formellement de recevoir à nouveau dans sa propre maison « cette
empoisonneuse de Sirah » – il sifflait son nom avec l’accent typique
de Grenade qu’il allait garder toute sa vie et qui lui faisait appeler ma mère
Silma, sa concubine Wirda, la porte « bib » au lieu de
« bab », sa ville « Ghirnata » et le palais du sultan
« Alhimra ». Pendant plusieurs jours, il demeura d’humeur
massacrante, mais, autant par prudence que par dépit, il ne se rendit plus dans
les chambres des femmes jusqu’après leurs accouchements.
    Ceux-ci intervinrent à deux jours d’intervalle.
Warda fut la première à sentir les contractions qui, espacées le soir, ne se
rapprochèrent qu’à l’aube. C’est alors seulement qu’elle commença à gémir assez
haut pour qu’on l’entende. Mon père courut chez notre voisin Hamza, tambourina
à sa porte et le pria d’avertir sa mère, une vieille dame digne, pieuse et d’une
grande habileté, de l’imminence de l’accouchement. Elle arriva quelques minutes
plus tard, toute drapée de voile blanc, portant une cuvette évasée, une
serviette et un savon. On disait qu’elle avait la main heureuse et qu’elle
avait fait naître bien plus de garçons que de filles.
    Ma sœur Mariam naquit vers midi. Mon père la
regarda à peine. Il n’avait d’yeux que pour Salma, qui osa lui affirmer :
« Moi, je ne te décevrai pas ! » Mais elle n’en était pas si
sûre, malgré les recettes infaillibles de Sarah et ses promesses répétées.
Surtout, il lui fallut encore deux interminables journées d’angoisse et de
souffrances avant de voir enfin exaucé son vœu le plus cher : entendre son
cousin l’appeler Oum-el-Hassan, la mère d’el-Hassan.
     
    *
     
    Le septième jour après ma naissance, mon père fit
appeler Hamza le barbier pour me circoncire et invita tous ses amis à un
banquet. En raison de l’état où se trouvaient ma mère et Warda, ce sont mes
deux grand-mères et leurs servantes qui s’occupèrent de préparer le repas. Ma
mère n’assista pas à la fête, mais elle m’avoua s’être cependant glissée en
douce hors de sa chambre pour voir les invités et écouter leurs propos. Son
émotion était si grande en ce jour que le moindre des détails s’était gravé
dans sa mémoire.
    Rassemblés dans le patio, autour de la fontaine de
marbre blanc ciselé, dont l’eau rafraîchissait l’atmosphère à la fois par son
bruit et par les milliers de gouttelettes qu’elle répandait, les invités
mangeaient avec d’autant plus d’appétit que l’on était déjà aux premiers jours
de ramadane et qu’ils rompaient le jeûne en même temps qu’ils fêtaient
mon entrée dans la communauté des Croyants. Selon ma mère, qui devait se
régaler des restes le lendemain, le repas était un véritable festin de rois. Le
plat principal était la maruziya  : de la viande de mouton préparée
avec un peu de miel, de la coriandre, de l’amidon, des amandes, des poires,
ainsi que des cerneaux dont la saison venait tout juste de commencer. Il y
avait aussi de la tafaya verte, de la viande de chevreau mélangée à un
bouquet de coriandre fraîche, et de la tafaya blanche préparée avec de
la coriandre séchée. Vais-je parler des poulets, des pigeonneaux, des
alouettes, avec leur sauce à l’ail et au fromage, du lièvre cuit au four, nappé
de safran et de vinaigre, des dizaines d’autres plats que ma mère m’a si
souvent égrenés, souvenir de la dernière grande fête qui ait eu lieu dans sa
maison avant que
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