Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'Entreprise des Indes

L'Entreprise des Indes

Titel: L'Entreprise des Indes
Autoren: Erik Orsenna
Vom Netzwerk:
semblable à ceux des bouchers,
présente des membres : jambes, cuissots, bras… Des Indiens portant de
lourdes charges, ancres ou canons, sont fouettés pour qu’ils avancent. On
distingue dans le lointain un groupe d’autres Indiens qu’on entraîne vers un
canot. Un navire attend sa cargaison. ( Planche X )
     
    Au centre de la gravure, un conquistador en habit d’apparat
joue les chefs d’orchestre avec son bâton de commandement. Mais la musique qu’il
dirige est un supplice. Un Indien est allongé sur le dos. Un feu lui brûle la
plante des pieds ; un garrot lui enserre la gorge. Un soldat lui verse sur
la poitrine et le ventre de l’huile bouillante. ( Planche XI)

 
     
     
     
     
    Lorsqu’à la demande pressante de la Reine Isabelle et du Roi
Ferdinand je pris la mer en avril 1494, qu’à mon arrivée dans l’île
Espagnole mon frère m’eut manifesté son vif contentement de me voir après notre
longue séparation, lorsqu’il m’eut prouvé sa confiance en me nommant Adelantado des Indes et gouverneur, je dis ma volonté première de connaître les
territoires dont j’avais désormais la charge.
    On s’étonna. On me représenta qu’innombrables étaient les
questions urgentes à résoudre et qu’un tel voyage, outre qu’il retardait les
solutions et dissolvait mon autorité, à peine en avais-je hérité, comportait de
grands risques pour ma sécurité.
    Je n’écoutai pas ces arguments et m’en allai explorer,
seulement protégé par une petite escorte.
    Je n’avais pas quarante années, à l’époque, et mon corps
avait la vigueur de la jeunesse. Il ne souffrait d’aucune des infirmités qui l’accablent
aujourd’hui.
    Dieu voulut bien me récompenser de ma décision. Peut-être
était-Il particulièrement fier de Sa Création en cet endroit du monde ?
Durant ces deux semaines de marche, je ne cessai de m’émerveiller.
    Tout ce que j’avais vu ailleurs de couleurs chez les
plantes, et de formes, et de tailles, était ici mille fois dépassé. On marchait
dans une gaieté, une profusion joyeuse, sans frontières bien certaines entre
les règnes. Ce qui semblait une fleur était, en approchant, grenouille. Ce qui
glissait sur le sol, ou pendait des arbres, était tantôt liane, tantôt serpent.
Les animaux ajoutaient à la fête, qu’ils sautent d’arbre en arbre, comme les
singes, trottinent dans les futaies, cochons sauvages, zagoutis, nez longs, ou
sommeillent sur les bancs de sable comme les crocodiles.
    Noé avait complété dans cette Inde son travail commencé
avant le Déluge. Son Arche y dépassait en prodiges ceux de la Bible.
    Et quand l’œil se fatiguait de cette jungle et de sa
débauche de diversités, une clairière paraissait, immédiat repos du regard, ou
un petit champ soigneusement cultivé, l’image même de la paix, d’une harmonie
miraculeuse entre la Nature et la présence humaine.
    Comment ne pas s’attacher à cette île Espagnole, puisqu’on y
trouvait la vie même, plus variée que nulle part ailleurs, plus libre, et plus
tranquille ?
    J’ai beau m’expliquer sans cesse, sans cesse on me demande :
pourquoi avez-vous choisi de revenir dans cette île ?
    Une dernière fois, je vous répète qu’il s’agit d’amour. Je
suis sans doute de ceux qui s’éprennent plus fortement des lieux que des
personnes. Dès le premier jour, j’ai chéri Hispañola.
    Nous nous rapprochions de la haute montagne dont on m’avait
parlé et que j’avais assignée comme but à notre expédition. C’est lors de son
ascension que j’ai commencé à comprendre la tyrannie mortifère de l’or. Les
nuages se dissipaient. Les montagnes se montraient l’une après l’autre et l’on
voyait se dérouler peu à peu la cordillère jusqu’à l’horizon, comme un
gigantesque varan.
    Ce théâtre grandiose ne retenait aucun de ceux qui m’entouraient,
pas même les deux supposés savants des choses de la nature. Ils n’avaient d’attention
que pour la rivière qui serpentait tout en bas, au fond de la vallée. Ils se
racontaient, fort énervés, que dans ces eaux boueuses on trouvait des pépites,
qu’on en aurait trouvé bien davantage si les Indiens n’avaient pas une telle
paresse dans le sang, et que, le mois précédent, un encomendero chanceux
avait découvert un caillou jaune gros comme le poing.
    Il me fallut menacer mes compagnons pour qu’ils acceptent de
continuer jusqu’au sommet. L’or les attirait corps et âme, telle la
Vom Netzwerk:

Weitere Kostenlose Bücher