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L'enquête russe

L'enquête russe

Titel: L'enquête russe
Autoren: Jean-François Parot
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de plaisirs, recherchés comme autant de dérivatifs à la vie d’étiquette et de réclusion qu’elle menait auprès de la princesse. Pour Nicolas, l’exaltation du corps, pour nécessaire qu’elle fût, ne suffisait plus. Dans son cœur il aspirait à d’autres horizons. En un mot, il s’ennuyait un peu, la passion assouvie, affamé d’une conversation que sa propre culture, sa réflexion, cette contention d’esprit et la permanence de son débat intérieur exigeaient. Qu’Aimée prît conscience de cet état sans pouvoir l’assouvir, et c’en serait fait de la tendresse passionnée. Elle s’étiolerait en dépit des ressauts des flammes prêtes à s’éteindre.
    M. de Noblecourt observait sans surprise cette transformation, mais, sachant d’expérience combien il est hasardeux de conseiller dans ces matières, il ne disait mot. Il vieillissait sans qu’il y parût vraiment. Seul signe de cette évolution, les instants de rêverie et de silence, inhabituels chez un être de nature volubile et diserte, se multipliaient et prolongeaient ses méditations éveillées. La lecture du Mercure de France était devenue un moment sacré durant lequel il résolvait avec brio les énigmes et les logogriphes 8 soumis aux lecteurs.
    Il semblait que les usages qui prévalaient dans sa maison, la régularité de son existence, les attentions et précautions qu’autour de lui ses amis et le domestique multipliaient, entouraient ses jours de quiétude et le préservaient de ces à-coups si funestes à ceux que la goutte, aux aguets, menaçait. Il regrettait son médecin Tronchin mort l’année précédente, se livrant en maugréant aux soins de Semacgus et du docteur de Gévigland. Le dimanche, au premier rang, marguillier désormais honoraire de Saint-Eustache, il suivait la grand’messe accompagné de Nicolas quand aucune enquête ne retenait celui-ci. Mouchette veillait sur lui avec une scrupuleuseattention sous le regard bonasse de Pluton, désormais admis à part entière aux pieds du patriarche. Certains soirs, il se faisait conduire par Poitevin à des rendez-vous mystérieux.
    Pourtant Nicolas n’était pas dupe de cet apparent arrêt du temps. Il savait bien que l’inéluctable se produirait et à cela jamais il ne parviendrait à s’accoutumer. Même Catherine, la plus jeune de la maisonnée après lui, commençait à ressentir le poids de l’âge et les conséquences de ses campagnes passées. « Ah ! gémissait-elle, j’ai trop zouvent gouché dans la boue. » Certains matins, les membres noués, elle maugréait en se massant énergiquement avec le schnaps de son pays. Elle en imprégnait des bouts de toiles dont elle s’enveloppait, exhalant alors dans l’office les fragrances de la quetsche et de la mirabelle.
    Ainsi en allait-il de l’hôtel de Noblecourt, vivant d’une existence préservée, dans un équilibre et une régularité de couvent que seule rompait parfois l’intrusion violente des enquêtes menées par Nicolas. Mais c’était précisément cette espèce de monotonie heureuse qui apportait la tranquillité d’âme si nécessaire à un homme tenaillé à tout instant par les convulsions du siècle.
     
    Quant à Louis qui surgissait lors de ses congés, fringant, chargé des lettres et des douceurs que sa tante Isabelle adressait à son frère depuis son couvent de Fontevraud, c’était désormais un jeune homme qui avait pris la stature de son père au point que, de dos, on les confondait. Apprécié de ses chefs et de ses hommes, il faisait la fierté de Nicolas pourtant inquiet de le voir piaffant d’impatience d’un service de paix à Saumur alors que la guerre menaçaitde s’achever sans qu’il y eût pris part. Il avait écouté les conseils de Nicolas sur la nécessaire régularité, rigueur et prudence d’une vie d’officier. Pourtant, bon sang ne saurait mentir, une idylle avec une dame avait failli tourner au drame sans la sagesse du colonel qui avait réussi à calmer les choses auprès d’un mari outragé, mais peu décidé à en découdre. Nicolas, informé, avait bondi à Saumur pour tancer un Louis penaud à qui il avait derechef martelé ses recommandations de prudence et de discrétion. Cependant, à tout hasard, il avait entraîné son fils hors la ville et là, dans un champ désert, il avait complété ses précédentes leçons. Il lui avait enseigné quelques bottes décisives récemment apprises d’un maître espagnol de passage à Paris dont il
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