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Le train de la mort

Le train de la mort

Titel: Le train de la mort
Autoren: Christian Bernadac
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Conscient, trotte-menu, souffreteux, amoureux des ordonnances stylées et de son sifflet d’argent, veule et sans doute mégalomane, il récite d’une voix blanche le discours d’accueil réservé aux arrivants : Allemagne éternelle, discipline, travail, famille, patrie. Ce qui, traduit en langage courant de chef de chambre, donne :
    — Si vous voulez être peinards, ne faites pas les cons.
    Hébétés, ahuris, épuisés par le régime cellulaire et un voyage rarement sans histoire sur les voies bouleversées du réseau français, ils arrivent, ils se retrouvent, ils se regroupent, ils s’installent, ils espèrent.
    — D’où venez-vous ?
    — Que se passe-t-il ?
    En quelques heures de chasse aux nouvelles, les anciens peuvent brosser un tableau objectif de la situation sur l’ensemble du territoire.
    Deux groupes, bien malgré eux, tiennent la vedette : les « Tullistes » et les « Eyssistes ».
    Troupeau lamentable marqué par l’horreur et l’angoisse, les cent trente-six raflés de Tulle se demandent en foulant le gravier de silex de Royallieu, quel ultime tri va les condamner ou peut-être – pourquoi pas ? – les sauver. Le 9 juin 1944, veille du crime d’Oradour-sur-Glane, à la suite de l’attaque courageuse mais prématurée par les F.T.P. de la garnison allemande de Tulle, les SS du général Lammerding organisent la répression. Parmi les cinq mille hommes de la ville, ils choisissent, dans un premier temps, cent vingt « exemples » :
    — Nous avons eu quarante morts dans l’attaque du maquis ; pour chacun de nos morts trois terroristes seront pendus.
    Sur les cent vingt, quatre-vingt-dix-neuf sont hissés aux lampadaires et aux balcons. Discussions, « intérêt national », amitiés, bassesses, compromissions, « moi Monsieur j’ai toujours bien servi l’Allemagne », silences, marchandages, prières, soumission, pleurs, listes falsifiées, héroïsme, mépris, « Vive Hitler », « Salauds, assassins » déterminent d’autres choix. Tri sur tri. Reste trois cent onze.
    — Vous serez déportés !
    Départ. Camions bâchés. Débarquement sur la sciure du manège de l’ancien 21 e chasseurs à Limoges.
    — Le long du mur !
    Ils aperçoivent les mitrailleuses.
    — Nous allons être fusillés.
    — Vive Hitler !
    — Moi pas maquis, moi pas terroriste.
    — Je suis volontaire pour l’armée allemande.
    — Moi pour partir en Allemagne.
    Un détenu demande le silence :
    — Ils vont nous exécuter… que les volontaires pour l’Allemagne lèvent le bras.
    Des bras se lèvent :
    — Moi !
    — Vive Hitler !
    — Trouillards, dégonflés ! Pauvres types, c’est « Vive la France » qu’il faut crier.
    Une dizaine d’« hommes » se sont évanouis.
    La milice : nouveau tri ; cent soixante-deux Tullistes libérés : reste cent quarante-neuf. Les retenus autorisés à s’étendre sur de la paille, bientôt rejoints par des prisonniers de la Centrale de Limoges, embarquent au petit matin dans des camions de déménagement. À Poitiers, parqués entre les hauts murs d’une cour d’immeuble réquisitionné, ils subissent les « bavures » d’un bombardement britannique destiné à la gare et le mitraillage de leurs gardiens : reste cent trente-six. Ce « résidu » souffle enfin en découvrant Compiègne :
    — Que nous réserve demain ?
    L’aventure des « Eyssistes » est différente. Et pour bien souligner le particularisme de ces « taulards » au crâne rasé – sabots de bois et costume de bure – le bureau administratif les isole dans le camp. Un camp dans le camp.
    — Ce sont des droit commun. Des criminels, des souteneurs, des marché noir, des collaborateurs traîtres…
    Deux jours plus tard, Compiègne sait et Compiègne organise des collectes de tabac et de vivres pour les « héros » de la prison d’Eysses. Les « Eyssistes » deviennent les « Eyssois » et chacun se plaît à reconnaître qu’ils méritent leur légende.
    Les lourds bâtiments de la prison d’Eysses, aux portes de Villeneuve-sur-Lot, accueillent en octobre 1943 plusieurs centaines d’emprisonnés politiques de zone sud et parmi eux cent cinquante détenus de la Centrale de Nîmes. Ce noyau de résistants – communistes et gaullistes – sera fondateur et animateur du bataillon d’Eysses. Collectif « unique », avec ses représentants élus, son service d’ordre parallèle, son commandement militaire, ses
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