Le tombeau d'Alexandre

lequel Alexandre aurait suivi un couple de corbeaux. Quand on passe un peu de temps dans le désert, on est quasiment sûr de voir des corbeaux bruns. Ce sont à peu près les seuls oiseaux qui y vivent. Ils voyagent souvent par deux. De vrais emmerdeurs, d’ailleurs. Quand ils ne trouvent pas de serpents ni de locustes, ils n’hésitent pas à fouiller les campements pour manger les restes, avant de retourner à l’oasis la plus proche. Donc, si on les suit...
    — Ils ouvrent la route comme des dauphins dans la Grande Mer de sable.
    — Exactement. Bref, ils ont conduit Alexandre à Siwa, où il a consulté l’oracle. Ensuite il a de nouveau traversé le désert mais, cette fois, il a suivi les pistes des caravanes, vers l’est, jusqu’à l’oasis de Bahariya. Puis il est revenu à Memphis. C’est à peu près tout ce qu’il a vu de l’Égypte avant de retourner mettre la pâtée aux Perses. Mais après sa mort, il a été ramené dans ce pays pour y être enterré.
    — Et tu penses que notre affaire se situe à ce moment-là.
    — C’est possible. Il ne faut pas oublier qui était Alexandre le Grand. Il a franchi l’Hellespont avec trente mille Macédoniens pour se venger de Xerxès, qui avait envahi la Grèce. Pourtant, il savait qu’il serait confronté à des armées dix fois plus importantes. Il a battu les Perses à plate couture, pas une fois, ni deux, mais trois fois. Et il ne s’est pas arrêté là. Il a mené d’innombrables batailles, qu’il n’a jamais perdues. Bien qu’il n’ait pas vécu plus de trente-deux ans, il a été l’homme le plus riche, le plus puissant et le plus admiré du monde. Quand son ami Héphaïstion est mort, il lui a fait faire un superbe bûcher funéraire, magnifiquement sculpté, de quatre-vingts mètres de haut. C’est comme si on construisait l’opéra de Sydney avant d’y mettre le feu, uniquement pour le plaisir de voir les flammes. Alors tu imagines, quand Alexandre est mort à son tour, ses hommes ont dû vouloir lui rendre un hommage vraiment particulier.
    — Je comprends.
    — Le bûcher funéraire était hors de question. La dépouille d’Alexandre était bien trop précieuse pour être brûlée. Le premier devoir d’un nouveau roi macédonien consistait à enterrer son prédécesseur. Par conséquent, quiconque entrerait en possession de la dépouille aurait de grandes chances de pouvoir prétendre au trône, d’autant qu’Alexandre n’avait laissé aucun successeur prévisible et que tout le monde jouait des coudes pour s’emparer du pouvoir.
    Rick désigna du menton le verre vide de Knox.
    — T’en veux une autre ?
    — Oui, merci.
    — Deux bières, cria Rick au barman. Pardon, tu disais, tout le monde jouait des coudes...
    — Oui, les prétendants au trône étaient nombreux. Alexandre avait un frère, mais celui-ci était simple d’esprit. Sa femme Roxane était enceinte, mais personne ne pouvait être sûr qu’elle aurait un fils. Et de toute façon, elle était barbare et les Macédoniens n’avaient pas conquis le monde pour être dirigés par un métis. L’armée s’est donc rassemblée à Babylone pour finalement parvenir à un compromis. Le frère simple d’esprit et l’enfant à naître, s’il s’agissait d’un garçon, ce qui fut le cas avec Alexandre IV, régneraient conjointement, mais les différentes régions de l’empire seraient administrées par un certain nombre de satrapes, tous placés sous l’autorité d’un triumvirat. TU me suis ?
    — Oui.
    — Parmi les généraux d’Alexandre, il faut distinguer Ptolémée. C’est lui qui avait prétendu qu’Alexandre avait été conduit à Siwa par des serpents doués de parole. Mais il ne faut pas le sous-estimer pour autant. C’était un homme très habile et très rusé. Il a compris que, sans Alexandre pour en maintenir l’intégrité, l’empire serait nécessairement morcelé et, lui, il voulait l’Égypte. C’était une terre riche, isolée, qui ne serait pas entraînée dans les conflits des autres. Il s’en est donc fait nommer satrape et il y a assis son pouvoir jusqu’à ce qu’il devienne pharaon pour fonder la dynastie ptolémaïque, qui s’est terminée avec Cléopâtre.
    Leurs bières arrivèrent et ils trinquèrent.
    — Continue, dit Rick.
    — Ça n’a pas été facile pour Ptolémée de devenir pharaon. Ce statut n’était pas accessible à n’importe qui. Les Égyptiens attachaient beaucoup d’importance à