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Le temps des illusions

Le temps des illusions

Titel: Le temps des illusions
Autoren: Evelyne Lever
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considérant ce mouvement comme hérétique et surtout dangereux pour l’État, décida de supprimer Port-Royal, son grand foyer spirituel. En 1709, il ordonna de fermer le couvent manu militari et dispersa les religieuses dans différents couvents de province. Il exigea la destruction des bâtiments conventuels, de l’église et l’exhumation des corps ensevelis dans le cimetière, qu’on jeta à la fosse commune. Loin de terroriser les jansénistes, cette violence ne fit querenforcer leur foi. Les polémiques reprirent, orchestrées d’Amsterdam par le père Quesnel, un oratorien suspect de jansénisme, dont un commentaire du Nouveau Testament, intitulé Réflexions morales , suscita un bref de condamnation du pape. Cependant, l’ouvrage, bien accueilli par plusieurs prélats, dont l’archevêque de Paris Mgr deNoailles, rencontra un grand succès auprès des fidèles. Exaspéré par l’ampleur que prenait la « secte »,Louis XIV voulut l’éradiquer définitivement. Rompant avec la tradition de l’Église gallicane, il sollicita l’intervention du pape. En 1713, le souverain pontife fulmina la bulle connue sous le nom de bulle Unigenitus . Elle condamnait les propositions deQuesnel, considérées comme l’exposé de la doctrine janséniste jugée fausse, hérétique et dangereuse. Le roi avait laissé entendre au saint-père que la bulle serait acceptée sans difficulté par l’épiscopat et les parlements (en effet, les bulles ne sont observées en France qu’après avoir été enregistrées par les parlements, après quoi elles se trouvent qualifiées de constitutions).
    Contrairement à son attente, le souverain dut faire preuve d’intimidation auprès des magistrats pour obtenir l’enregistrement : ceux-ci considéraient que certains articles mettaient en cause les assises mêmes de l’autorité monarchique et que c’était une ingérence de Rome dans les affaires temporelles. Quant aux évêques, ils n’acceptèrent pas la bulle sans réserve. Les jansénistes trouvaient chaque jour de nouveaux partisans dans les facultés de théologie, chez les dominicains, les bénédictins de Saint-Maur, les chanoines de Sainte-Geneviève, les curés des paroisses, les avocats, les procureurs, les huissiers, les magistrats du Parlement et les fidèles enflammés par les homélies des prêtres.
    M. le Régent est un homme de conciliation. On sait que les affaires de religion ne sont pas de son ressort. Il se moque des querelles théologiques, mais il souhaite que l’ordre règne en France. Il s’est irrité en lisant certain poème fort bien tourné attribué au sieurArouet, qui appartient au milieu janséniste : il s’agit d’un jeune homme de vingt ans qui déplore les maux du royaume. Il « a vu, dit-il, le peuple gémissant dans un rigoureux esclavage […], les sages 2 contredits, leurs remontrances inutiles ». Il « a vu sous l’habit d’une femme un démon 3 faire la loi pour séduirel’esprit d’un trop crédule roi ». Il « a vu la vérité trahie et la foi chancelante, le lieu saint avili, Port-Royal démoli ». Il « a vu dans le séjour par la Grâce habité, des sacrilèges, des profanes remuer, tourmenter les mânes des corps marqués au sceau de l’immortalité ». Il « a vu le cardinal 4 , l’ornement de la France, plus grand encore et plus saint qu’on ne dit, ressentir les effets d’une horrible vengeance ». Il « a vu c’est tout dire, le jésuite adoré ».
    Paris et la province connaissent les J’ai vu qui agacent M. le Régent. En tant que chef de l’État, il ne peut laisser insulter le feu roi et sa politique religieuse. Il n’est pourtant pas décidé à sévir, surtout contre le spirituelArouet. Il s’est contenté de l’interpeller dans les jardins du Palais-Royal : « Monsieur Arouet, je gage vous faire voir une chose que vous n’avez jamais vue. – Quoi ? – La Bastille. – Ah ! Monseigneur, je la tiens pour vue 5  », aurait répondu Arouet.
    Pour l’heure, le duc d’Orléans veut calmer les passions. Puisque Paris, cœur du royaume, semble être le grand fief janséniste, il a choisi comme président du Conseil de conscience le cardinal deNoailles queLouis XIV avait banni de la Cour et qu’il avait l’intention de faire déposer. Les Jésuites enragent et les jansénistes relèvent la tête. On est envahi de mémoires et de libelles, prônant le rejet ou l’acceptation de la bulle. Le public se passionne pour ces
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