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Le spectre de la nouvelle lune

Le spectre de la nouvelle lune

Titel: Le spectre de la nouvelle lune
Autoren: Marc Paillet
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retour qui se révéla encore plus pénible que l’aller. Le vent soufflait à présent avec violence ; la pluie, glaciale, tombait drue et les vagues du marécage battaient le sentier. Le sabotier, tous les sens en éveil, progressait très lentement pour observer tant bien que mal la disposition des roseaux et des joncs, et aussi pour tâter du pied l’incertain chemin. Le viguier le suivait de très près, apparemment prêt à intervenir à la moindre alerte.
    Ils étaient à peu près à mi-parcours quand, tout à coup, Rafanel trébucha et disparut comme englouti par les eaux et la nuit.
    — Que vous avais-je dit ! s’écria Guntran. Nous y voici ! Nous y sommes en plein ! Il n’y a pas de traîtrise dont ces gens-là ne soient capables !
    — Silence et à l’œuvre ! lança le missus.
    Déjà son assistant s’était agenouillé près de l’endroit où le sabotier était tombé à l’eau. Il lui sembla apercevoir des remous.
    — Seigneur, avec mes plus humbles excuses, dit-il à son maître, j’aurais besoin qu’une poigne solide me tienne les jambes !
    — Cela ne me paraît pas inutile, en effet, approuva l’abbé en s’agenouillant à son tour. Quant à toi, viguier, agrippe-lui fermement les chevilles ! Allons !
    Doremus plongea le haut de son corps dans les ondes obscures, sortant la tête de temps en temps pour reprendre son souffle.
    — Je le tiens ! cria-t-il brusquement. Par Dieu, nous allons le sortir de là !
    L’instant d’après Rafanel, arraché non sans peine aux enlacements des plantes aquatiques, était tiré sur le sentier. L’assistant du missus se pencha sur sa poitrine.
    — Il vit ! dit-il à mi-voix.
    Il plaça le corps sur le ventre pour le faire dégorger et lui prodigua des soins avisés. Après un long moment, le noyé reprit enfin ses esprits. Il dévisagea, surpris, ces trois hommes qui l’examinaient, tâta ses vêtements, passa la main sur son visage et ses cheveux, regarda les eaux du ciel et de la terre et poussa un long soupir. La mémoire lui revint.
    — J’ai bien cru, murmura-t-il, que j’allais y rester.
    — Nous aussi, dit Doremus.
    — Mais qui m’a…
    — Plus tard ! coupa Erwin. D’abord sors-nous d’ici ! Toi seul le peux ! Au besoin nous te soutiendrons pour marcher. Guide-nous !
    Rafanel se mit debout avec difficulté. Puis il se redressa pour jeter avec fierté :
    — Je ferai, et tout seul, ce que je dois. Et, maintenant, plutôt deux fois qu’une. Il se tourna vers Doremus.
    — C’est toi, bien sûr ! dit-il. Ça ne peut être que toi !
    L’assistant lui tendit sa gourde de vin.
    — Bois donc ! Tu en as bien besoin. Et en avant !
    Ils se remirent en route par une nuit de plus en plus noire dans un déchaînement des éléments. Plus d’une fois ils se crurent perdus, n’arrivant plus à retrouver leur sentier. Enfin, comme par miracle, ils arrivèrent à la terre ferme.
    — C’est bien, très bien, mon fils, lança au sabotier exténué l’abbé Erwin qui s’agenouilla près d’un talus pour rendre grâces au Tout-Puissant.
    Rafanel s’était laissé tomber à côté du missus, bientôt imité par Doremus, tandis que le viguier, malgré sa fatigue, demeurait debout avec un visage exprimant défiance et réprobation. L’assistant du Saxon fouilla dans son sac à la recherche de nourriture : le pain et le fromage étaient en bouillie. Pour tout réconfort, chacun dut se contenter d’une gorgée de vin que le missus ne refusa pas. Puis il se releva, droit dans la tempête, et cria :
    — Comment des hommes pourraient-ils survivre dans cet enfer liquide ?
    — Qu’en dis-tu, Rafanel ? demanda Doremus qui avait traduit l’interrogation de son maître.
    — Il y en a pourtant qui y vivent, mais plutôt mal que bien, répondit le sabotier.
    — Si mal que ça ? Alors, pourquoi ?
    — Mon domaine à moi, pour faire mes sabots, et aussi pour les jougs ou les araires, c’est le bois, c’est la forêt, pas le marais !
    — Pourtant tu t’y débrouilles, hein, plaça Guntran qui se tourna vers l’abbé saxon. Tu as dit juste, seigneur : un enfer liquide ! Alors qui peut vivre en un enfer, glacé ou brûlant ? Qui ?
    — Par ma foi, on peut imaginer bien des réponses quand il s’agit d’un marécage, intervint Doremus. Pourquoi pas des pêcheurs ou des couvreurs, des « chaumiers » ?
    — Drôles de pêcheurs, drôles de « chaumiers » ! grommela l’adjoint du vicomte.
    La marche reprit sur un chemin de terre détrempé ;
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