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Le spectre de la nouvelle lune

Le spectre de la nouvelle lune

Titel: Le spectre de la nouvelle lune
Autoren: Marc Paillet
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CHAPITRE PREMIER
    Depuis la langue de terre à laquelle ils étaient parvenus, Erwin et Doremus n’apercevaient de tous côtés que les ondes noirâtres du marécage éclairées fugitivement par des lueurs rougeâtres et parsemées de touffes de roseaux et de joncs qui ployaient sous les rafales de vent ; le marais, au loin, semblait absorber les nuages. Le sabotier Rafanel servait de guide. Il avançait avec précaution, suivi comme son ombre par le viguier Guntran, adjoint du vicomte de Châteauroux pour la région de la Brenne ( 1 ), et qui, méfiant, observait sa démarche en marmonnant de vagues menaces. Le missus dominicus et son assistant leur emboîtaient le pas, non sans difficultés. Depuis plus d’une heure la petite troupe avait cheminé sur un sentier glaiseux et glissant, étroit, capricieux, qui tantôt serpentait à deux ou trois pouces au-dessus du niveau des eaux, tantôt s’enfonçait jusqu’à cesser d’être visible, de sorte que seul un homme du marécage pouvait suivre un itinéraire en évitant les pièges des flots.
    Le sabotier s’était arrêté fréquemment, moins sans doute pour prendre des repères que pour multiplier les mises en garde en un latin exécrable : à s’écarter, ne fût-ce que d’un pas, du chemin qu’il montrait, on risquait de tomber dans un trou d’eau pour un bain glacé, voire de choir dans les rets que formaient les feuilles, tiges et racines des plantes aquatiques, étreinte mortelle.
    — Et à te suivre, où va-t-on ? murmura le viguier en francique.
    A chaque arrêt, Doremus jetait un coup d’œil vers l’abbé Erwin qui, imperturbable, en profitait pour examiner les alentours.
    Parvenu à ce qu’il dit être leur destination, Rafanel se mit à observer une butte de faible hauteur située à environ quinze cents pas et recouverte de buissons. En son centre s’élevait un arbre de haute taille, souverain de ce paysage horizontal.
    Le sabotier pointa le doigt dans cette direction et dit en frémissant :
    — Vous voyez ce « button ( 2 ) » ? En ce jour où la nuit l’emporte sur la lumière, avec ce crépuscule de sang, ces nuages comme des boucs en rut… De quoi lui plaire !
    — A toi aussi, sans doute, lança le viguier.
    — Apparaît-il toujours sur cette butte ? demanda posément l’abbé Erwin.
    — Il apparaît où il veut et quand il veut, affirma Rafanel, mais, c’est vrai, souvent là-bas dessus, près du grand aulne… comme un spectre blanchâtre qui bouge lentement son suaire. Et puis, soudain il s’évanouit dans l’air… Malheur à qui l’a rencontré !
    — Car il arrive qu’on le rencontre ? S’enquit Doremus en un dialecte proche de celui qu’employait Rafanel.
    — Il faut croire ! marmonna l’homme qui, à l’évidence, ne voulait pas en dire davantage.
    Quasi immobile sous les rafales d’un aigre noroît accompagné de pluies intermittentes, sur cette île précaire, au cœur du marécage, trempé, Erwin se sentit gagné par le froid de cet automne hivernal. Il frissonna et serra son manteau autour de lui. Doremus imita son geste avec sa coule ( 3 ).
    — J’espère, seigneur, dit-il, que nous n’allons pas demeurer longtemps ici dans l’attente d’un fantôme capricieux.
    — Nous sommes à la nouvelle lune, intervint le viguier. Dans une demi-heure l’obscurité sera complète. S’il ne s’est pas montré aux dernières lueurs du jour, il ne viendra pas. De toute façon, nous pourrons regagner l’abbaye avant peu. Un bon souper nous y attend.
    — Sans doute… lâcha Doremus.
    Le missus dominicus qui connaissait son assistant se tourna vers lui.
    — Que crains-tu ? lui demanda-t-il en francique.
    — Rien, seigneur, sinon que nous nous en sommes remis entièrement à ce sabotier. Sans lui, maintenant, nous serions incapables de regagner la terre ferme. Et, après ce qui s’est passé par ici…
    — Justement, renchérit Guntran, oui, ce qui s’est passé… Je me suis permis, seigneur, de te dire ce que j’en pensais… Dieu seul sait de quoi ces gens-là sont capables !
    — Oui, de quoi ? dit Erwin sèchement.
    Le viguier sentit le mors.
    — Il est vrai, concéda-t-il, qu’il ne pourrait nous perdre sans se perdre lui-même. Mais je connais l’étendue de leur haine et…
    — Ce n’est pas au milieu du gué qu’on change d’attelage, coupa le missus, et encore moins de guide au milieu des marais !
    Les quatre hommes patientèrent jusqu’à la nuit noire. En vain. Erwin donna le signal du
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